NOMMER LES ÊTRES, NOMMER LES LIEUX
RUE/ROUTE
Par BEAUSSAERT Sébastien
Carte Postale - Vieux Marseille – Rue des Ferrats © Photographie : drouot-morand.com
Du latin « rūga », qui signifie littéralement « ride », telle celles que l’on a sur la peau comme signe du temps qui passe, la rue est ainsi un plissement, une crevasse au sein d’un tissu urbain. Bien plus qu’un simple vide entre des pleins, les rues pourraient être apparentées à des artères, qui nourrissent la ville de ses différents flux, mais qui permettent aussi l’arrêt, la vie urbaine et se trouve être un lieu où l’on peut habiter. Nos rues sont les visages de nos villes, les façades qui les bordent sont les marqueurs de leur identité architecturale et les habitant·e·s qui les parcourent sont les acteurs et acrtices de cette vie urbaine quotidienne.
Très souvent aujourd’hui, rue et route sont associées voire confondues. Pourtant toutes deux sont différentes et leur identification claire peut apporter une certaine compréhension de l’évolution de nos modes de vie. Leur différence est cruciale d’un point de vue de l’usage et des modes de vie possible. Une rue peut-être un point de destination, un point de rencontre, un espace public où l’on peut habiter. Une route, quant à elle, possède cette vocation de communication et de lieu de passage avant tout. On peut, par exemple, s’arrêter dans la rue mais pas sur une route.
Une rue peut contenir une route mais pas l’inverse. Seulement, aujourd’hui, à Marseille, la majeure partie des rues contiennent des routes. Cet état de fait détruit en partie les usages possibles de la rue qui devient finalement seulement un « réceptacle à route » où l’habiter, l’appropriation prennent un rôle secondaire, bien différent de ce qu’a pu être l’art d’habiter la rue, il y a quelques décennies.
Analyser ce rapport rue/route nous permet ainsi de mettre en évidence les tendances d’usages des habitant·e·s et permet de comprendre quelle relation elles et ils entretiennent avec les espaces publics. Cette problématique de la route, consommatrice d’espaces publics est finalement reliée à la place de la voiture en ville qui est la principale occupante de nos rues aujourd’hui, qu’elle soit stationnée ou en circulation. Cet état de fait est dramatique pour nous habitant·e·s, qui avons échangé tacitement notre droit à la rue, pour un droit à la route. La majeure partie de nos rues aujourd’hui ne sont plus habitées par des personnes mais par des voitures, nous reléguant entassé·e·s sur des étroits trottoirs où plus rien n’est possible, pas même le simple fait d’y poser une petite table de café, d’y accorder un espace où l’on peut s’asseoir à l’ombre d’un arbre, où une simple marche d’escalier où l’on s’assoit le temps d’une pause, abrité·e sous un porche impétueux qui s’élance au-delà de la façade.
Aujourd’hui, nous pouvons réclamer ce droit de redonner aux humains la ville que les machines nous ont confisquée. Certaines initiatives tels que les « Parkelets » ou « Parking Day » montrent des exemples de réappropriation de ces espaces perdus. Nous pouvons réclamer cette nécessité de vivre dans des rues où l’on y trouve sa place en tant qu’habitant·e avant tout, sans que l’on se sente en danger. Nous pouvons nous mobiliser pour que nos rues redeviennent habitées. Redonnons-nous une place dans les espaces publics.
BIBLIOGRAPHIE
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Soulier, Nicolas. 2012. Reconquérir les rues: exemples à travers le monde et pistes d’actions : Pour des villes où l’on aimerait habiter. Paris : Éditions Ulmer.
SITOGRAPHIE
consultée en décembre 2021
https://vancouver.ca/streets-transportation/parklets.aspx