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ÉMERVEILLEMENT

Par MORETTI, Victor

Je me souviens de cette après-midi où je gardais Sandro, mon petit cousin de 6 ans.

Nous étions parti au Castellar, la colline où l’on a l’habitude d’aller se promener et cette fois-ci je lui ai dit qu’on allait y construire une cabane. Cette colline, j’ai l’habitude d’y aller depuis petit, je l’ai vu changer en même temps que moi même, à travers les saisons et le temps qui passe.

Assis dans l’herbe, je me reposais en regardant Sandro jouer et s’émerveiller de tout ce qui l’entourait.

A un moment, il s’approcha de moi avec un morceau de mousse qu’il avait décroché du pied d’un chêne. « Regarde c’est trop joli, et c’est tout doux en plus », s’exclama-t-il.

 

Je souri et toucha cette mousse, nostalgique de cet âge où j’étais moi-même admiratif des choses simples de la vie. Je me demandais alors ce qu’il se passait derrière ses yeux pétillants, l’origine de cette étincelle qui transformait toute chose en ce monde en une surprise inattendue. Il s’émerveillait.

Le mot émerveillement vient du latin mirabilia, qui évoque « l’admiration » ou bien encore « ce qui provoque l’admiration ». Le dictionnaire de l’Académie française (dans sa neuvième édition) le décrit comme un « sentiment de surprise heureuse et d’admiration devant un spectacle ou un événement extraordinaire ». Dans son utilisation, c’est un mot souvent employé pour parler « des émerveillements de l’enfance », ou bien encore à travers l’art et la poésie, en y suggérant des sentiments d’étonnement et de fascination face à une beauté qui transcende.

 

En effet, Chantal Leroy (2006), dans son article intitulé « Ne les écoute pas Ravi. Tu as été mis sur la Terre pour t’émerveiller » explique que le sentiment d’émerveillement est une rencontre entre soi-même et l’objet de contemplation, inconnu mais qui jaillit de la lumière pour illuminer son spectateur : « Étonnement ! C’est le premier point. Stupéfaction devant cette lumière qui se fait présence. Le second point, paradoxal, mais seulement en apparence, est le déséquilibre des corps. ».

Les enfants sont en constante découverte du monde qui les entoure, ils y découvrent la matière et l’essence même des choses de ce monde, en y apprenant comment leurs sens sont impactés et touchés de manière singulière par ces objets. L’habitude, fait qu’avec le temps, les adultes perdent en émerveillement, bien que les artistes et poètes font de cet émerveillement leurs sources de travail.

Comme nous l’explique la Société Française des Sciences de l'Information & de la Communication, « Avec le préfixe « é », l’é-merveillement appose à cet événement un mouvement vers l’inconnu, l’étranger, une sortie de soi, voire une diminution du soi ». S’émerveiller devient un apprentissage, une altérité, une connexion à de multiples merveilles toujours inattendues mais qui nous nourrissent et nous en apprennent davantage sur notre identité. Les enfants apprennent à s’émerveiller, et par extension à mieux connaître ce qui leur font du bien et les stimulent au quotidien.

 

Selon Platon, « l’émerveillement est le point de départ de la connaissance, et en particulier de la connaissance de soi ». On retrouve l’émerveillement dans certains principes religieux, notamment le bouddhisme, qui conçoit l’émerveillement comme un éveil, une illumination permettant de se rapprocher de la vérité, de la véritable nature des choses. Les enfants s’émerveillent et désamorcent les cœurs des adultes qui ne savent plus se laisser toucher par la beauté du monde. L’émerveillement est un sentiment qui se détache des raisonnements rationnels. Cela ne s’explique pas, ça se ressent sans que ce puisse être expliqué de manière factuelle, ce qui provoque parfois des décalages entre des discours « d’enfants » et des discours « d’adultes ».

 

Petit, j’allais souvent jouer au parc. C’était mon échappatoire dans cette grande ville trop grande et violente pour mon petit corps d’enfant. C’est là où je me découvrais, où j’apprenais à regarder l’espace qui m’entourait pour savoir agir avec lui. Une journée en particulier me revient. C’était un jour d’automne, les feuilles des platanes jonchaient le seul et s‘amoncelaient en montagne. Moi j’y voyais une incroyable piscine où sauter dedans, comme si je sautais dans un portail vers un monde merveilleux !

 

 

Les enfants s’émerveillent et se connectent au monde qui les entoure en se laissant toucher. Ils sortent du cadre pour se laisser transporter vers cet inconnu qui s’offrent à eux et dont ils essaient de comprendre pour s’y connecter. C’est ainsi que Jacques Goimard définit l’émerveillement comme « une qualité de présence de l’homme au monde et du monde à l’homme ». Une certaine philosophie découle de ce regard lorsque l’on souhaite par exemple garder son « âme d’enfant ». S’émerveiller au quotidien serait une manière de constamment être en relation avec le monde et de sortir d’un regard auto-centré et linéaire, en se plongeant dans l’essence même de ces objets d’admiration. L’identité est alors en constant mouvement et se remodèle pour s’adapter au monde. D’une certaine manière, les enfants sont pleinement présent et ancré dans le monde parce qu’ils s’y laissent porter et surprendre par sa beauté. Le monde les impacte et en échange ils interagissent avec lui.

 

Chantal Leroy (2006) explique également que s’émerveiller représente autant d’« échappées des réalités quotidienne barbare et désacralisée ». L’émerveillement représenterait une réponse face à la brutalisation sociétale de notre rapport au monde. Les enfants s’émerveillent davantage car ils se concentrent sur ce qui a de l’importance, c’est à dire ce qui les passionne et les stimule, au lieu de se focaliser sur ce qu’ils connaissent déjà ou bien sur les réalités monotones du monde des adultes. C’est alors le meilleur moyen d’apprendre constamment, de grandir et de faire rayonner tout autour de soi le bonheur d’exister parmi ces choses qui émerveillent.

 

En tant que futur architecte je me demande alors comment penser la ville émerveillante ? Comment faire pour susciter l’intérêt d’apprendre et de redécouvrir son espace de vie quotidien ? Comment susciter la surprise dans les yeux des passants, l’admiration des petites choses simples de la vie ?

Aujourd’hui, la ville désenchante et nous coupe du hasard, de sa richesse aléatoire que l’on retrouve plus facilement dans la nature. Ces aménagements systémiques et monotones, hors d’échelle pour les enfants, nous prive de cette étincelle qui brillent encore si bien dans le cœur des enfants.

BIBLIOGRAPHIE

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LEROY Chantal, 2006, Ne les écoute pas, Ravi. Tu as été mis sur la terre pour t'émerveiller, Études, nº4056, pp.621-633, consulté en juin 2024. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2006-12-page-621.htm

 

MAMBRINO Jean, 1979, L’émerveillement du quotidien ou l’univers fantastique et familier d’Isaac B.Singer, Études, tome 350/1, pp.35-46. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k441944q/f36.item.r=jésus.langFR

 

Société Française des Sciences de l'Information & de la Communication, 2024, Appel à articles. URL : https://www.sfsic.org/aac-publication/lemerveillement-de-lemotion-individuelle-au-geste-social/

 

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