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MONTAGNE

Par GAGLIARDINI, Léa
 

QUE LA MONTAGNE EST BELLE

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Photographie : Annapurna, Népal. Gagliardini Léa © 

     La montagne, immense et fascinante, un monstre gigantesque et sublime qui domine les Hommes. L’Everest, huit milles huit cent quarante huit mètres de roche, de terre, et de glace, est la plus haute de toute. Le défi est ultime, inhumain. Après huit milles mètres le niveau d’oxygène n’est plus suffisant pour maintenir la vie. Passé cette altitude, le corps humain utilise plus d’oxygène qu’il ne peut en respirer dans cet environnement, les fonctions corporelles se détériorent. Dans cette zone hostile à toute forme de vie, les Hommes sont désorientés, épuisés, leurs organes vitaux en détresse. Et pourtant, environ vingt quatre milles hommes et femmes ont tenté d’atteindre son sommet. Une vingtaine de jours par an, de plus en plus d’Hommes accourent, pour tenter d’accomplir l’impossible. Depuis Tenzing Norgay et Edmund Hillary, les premiers à poser leurs pieds au sommet, le vingt neuf mai 1953, dix milles autres ont réussi l’exploit.

     Trois cent sont morts sur ses pentes en essayant d’en atteindre le sommet. Cette réalité là on ne peut pas l’oublier lorsque l’on se lance dans l’ascension. De nombreux corps jonchent la route vers le toit du monde car il est souvent impossible de les faire descendre de la montagne. Là où chaque pas demande un effort colossal, il n’est pas rare de laisser mourir ses compagnons ou les inconnus croisés. Il est accepté qu’un alpiniste n’ait pas à risquer sa vie pour en secourir un autre, mais doit-on préférer le sommet à une vie humaine ? Fermer les yeux est-ce survivre, ou seulement réussir ? Et lorsqu’ils sont ouverts, ces yeux, ils peuvent apprécier la vue sur la « vallée arc-en-ciel », jonchée de cadavres aux vêtements multicolores, ou se repérer grâce à Green Boots, une dépouille non identifiée servant de repère visuel sur la voie d’accès Nord. Et il n’est pas le seul à baliser le chemin, nombreux sont ceux dont le corps est là pour rappeler que l’Homme n’est pas le bienvenu ici.

      Et pourtant ils sont de plus en plus nombreux à tenter d’atteindre le sommet. Aux facteurs naturels s’ajoutent alors l’affluence de grimpeurs. Le gouvernement népalais fourni les permis d’ascension, trois cent quatre vingt un en 2019, beaucoup trop pour les mauvaises conditions météorologiques de cette année-là. S’accumule alors une file d’alpinistes, accompagnés de leurs guides, attendant de pouvoir fouler le sommet, sur une fine arrête de cinquante centimètre de large environ. Alors que chaque inspiration peut être la dernière lorsque les bouteilles d’oxygène prévues finissent par se vider, des personnes attendent des heures à quelques dizaines de mètres du sommet sans pouvoir faire demi tour car talonnées par des dizaines d’autres avides de gravir le toit du monde.

     Alors qui domine, les Hommes ou la montagne ? La montagne qui garde les corps de ceux qu’elle a pris pour ne plus les lâcher, ou les Hommes qui arrivent à atteindre le sommet, encore et encore ? Doit-on gagner contre l’impossible au risque de n’avoir plus rien à y trouver une fois arrivé ? Faut-il accepter les embouteillages le long des crêtes, sur les pentes et les reliefs de ces monstres, comme on les accepte dans nos villes, sur nos autoroutes ou dans nos supermarchés ? Peut-on empêcher l’Homme de rêver toujours plus grand, toujours plus haut ?

    Quelques jours par an, des centaines de grimpeurs s’attaquent aux flans de cette immensité, la blessant de plus en plus, jonchant ses pentes d’excréments et autres déchets d’humains tout puissants. Et puis de temps en temps un pan de glace se détache pour rappeler que tout a un prix, et que c’est elle qui gagnera à la fin, qu’importe le nombre de pieds qui auront piétinés son sommet.

SITOGRAPHIE (consultée entre novembre et décembre 2019)

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