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LES PÉRIURBAINS

Par GAUTHIER Guihèn
 

Habiter le périurbain, au regard de son acceptation étymologique, signifie habiter à l’entour de la ville. Les périurbains peuvent donc, d’ores et déjà, être définis comme des habitant·e·s de la périphérie de la ville, demeurant en pourtour d’une ville. Les habitant·e·s du périurbain sont donc les résident·e·s de cet interstice : la périphérie de ville devient un entre-deux, un creux habité entre un monde de la ville et un monde de la nature. Ils et elles habitent un entre-deux villes, parfois imprécis et qui concourt au besoin de définition de ses habitants qui demeurent entre ville et campagne : le périurbain devient « par conséquent un lieu paradoxal, une retraite rurale en même temps qu’un appendice urbain ». (Pinson, 2006) 

















 

 

 

 

 

 

 

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Mais quelles sont les caractéristiques de ces habitant·e·s ? De nombreux termes qualifient ces habitants périphériques : banlieusards, urbains, suburbains, rurbains ou ruraux, ou bien encore campagnards. Tous ces termes permettent de déceler une grande diversité de situations des périurbains. Dans l’imaginaire commun, les habitant·e·s périurbain·e·s sont le reflet d’une classe moyenne ayant profité d’une accession à la maison individuelle, constituant un véritable « territoire des familles » (Cailly & Dodier, 2007). Les périurbains ont certes des points en commun en résidant dans une maison individuelle, en réalisant des trajets quotidiens automobiles individuels, ou encore en développant une pratique des centres commerciaux de périphérie. Pourtant, il demeure une grande diversité de trajets, mais aussi de contextes sociaux ou démographiques et donc, de fait, des modes d’habiter parmi ces habitant·e·s. 

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Ne cherchant pas à être exhaustive, cette entrée s’appuiera sur deux références principales. La première est une étude qui s’attèle à la mise en valeur des particularités des habitants du périurbain, en s’appuyant notamment sur deux enquêtes menées séparément au Mans (par Dodier en 2006) et à Tours (par Cailly en 2004). Des périurbains ont été interrogés sur leurs parcours, leurs pratiques des lieux ou encore sur leurs réseaux de sociabilité.

« L’attention est en fait plus portée sur les modes d’habiter, c’est-à-dire sur l’ensemble des dispositions et des pratiques qui régissent les rapports à l’espace, la façon d’être mobile ou les identités spatiales différentes »

(Cailly & Dodier, 2007). La seconde étude proposée par Daniel Pinson, permet, quant à elle, de saisir l’importance dans les représentations des périurbains, de la place faite aux notions de paysage, de nature ou encore d’art et de culture. L’analyse précise des manières d’occuper cet espace périurbain permettra de mieux comprendre le profil de ces habitants car « nous n’avons pas besoin de penser le monde pour y vivre, mais nous devons vivre dans le monde pour le penser » (Rozenberg, 2020).

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D’abord, les périurbains peuvent être facilement différenciés selon les espaces qu’ils occupent. Premièrement, il existe une sorte de gradient allant du centre de la ville vers la périphérie qui définit différents espaces. La première couronne périphérique, la plus proche du centre est la plus ancienne, la mieux desservie et la plus accessible :

elle abrite ainsi une classe moyenne plutôt supérieure disposant d’une maison individuelle et d’un accès rapide au centre-ville. À cause de la pression immobilière notamment, les classes populaires sont écartées en périphérie lointaine qui demeure moins bien équipée et moins accessible. Deuxièmement, il existe une différenciation selon les intérêts paysagers de cet espace périurbain. En effet, le périurbain possède un capital paysager plus ou moins attirant. Par exemple, les classes les plus aisées préféreront privilégier un cadre de vie agréable, quitte à en payer le prix, laissant aux classes les plus pauvres des périphéries où l’intérêt paysager est amoindri. Troisièmement, une différenciation s’opère sur le plan immobilier, par exemple, les maisons isolées profitent généralement à une population aisée, contrairement au bâti ancien de bourg qui est habité par des ménages plus modestes. 

 

La diversité spatiale du périurbain va de pair avec l’analyse de la diversité des modes d’habiter de ces espaces qui s’exprime selon la diversité des trajectoires quotidiennes, celle des positions au sein de la société, ou encore celle liée à l’âge des habitants ainsi qu’à leur genre. 

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L’étude des trajectoires quotidiennes des habitants de la périphérie autorise un large arpentage de ce territoire périurbain, qui s’est surtout développé à partir des années 1975. Elle permet de classifier les habitants en trois grandes catégories. Une première catégorie correspond au modèle du périurbain de la campagne. Il cultive son propre jardin, apprécie la quiétude individuelle et n’effectue des trajets que pour des obligations telles que les courses ou le travail. Daniel Pinson définit ce type d’habitant comme un « héritier », un habitant issu d’un milieu rural et qui a lui-même hérité d’un cabanon ou d’une maison transmise par ses parents dans le pays d’Aix-en-Provence. Pour cet « héritier », la ville est souvent présentée de manière négative. Une deuxième catégorie correspond au périurbain d’origine citadine. Il utilise son jardin comme une source d’évasion, il profite de balades et n’a aucune peur de la ville car il en connaît les grandes ressources. Cette catégorie est celle définie par par Daniel Pinson de « colons », ces « nouveaux venus d’ailleurs, profitant d’un développement économique et industriel » (Pinson, 2006). La troisième et dernière catégorie correspond aux natifs du périurbain. Ceux qui n’ont connu que ce milieu, auront tendance à reproduire ce mode d’habiter hérité des parents, en favorisant l’attachement au logement pavillonnaire individuel, ainsi qu’en privilégiant des déplacements automobiles individuels quotidiens. Ils sont

« les plus fidèles porteurs du modèle d’urbanité périphérique » (Cailly & Dodier, 2007). À cette classe peut être associée la catégorie des « locaux » de Daniel Pinson, définis comme des citadins sortis de la ville pour bénéficier du recul et du calme offert par la périurbanité.

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La diversité des habitants du périurbain s’explique également par la position qu’un habitant de la périphérie occupe au sein de la société selon des critères renvoyant aux dimensions socio-économique et culturelle. La diversité des positions sociales s’analyse à travers la mobilité hors-travail ou encore le rapport à la ville. Les classes moyennes inférieures ont une mobilité hors-travail assez réduite : elles privilégient donc l’investissement dans leur logement ainsi que l’arpentage de l’espace situé en périphérie immédiate : «Cette propension à l’ancrage et à la territorialisation locale, dans les espaces périurbains, semble plutôt caractéristique d’un habitus « populaire »  (Cailly, 2004). À l’inverse, les périurbains les plus aisés développent une mobilité hors-travail plutôt intense qui témoigne d’une bonne gestion entre toutes les échelles du quotidien, du domicile vers les grandes villes.

Ces classes moyennes supérieures sont attachées au logement mais valorisent des activités culturelles ou sportives à l’échelle de l’aire urbaine. Leur mobilité devient facteur d’épanouissement : ces habitants deviennent métropolitains. 

 

Cette dichotomie entre classes moyennes supérieures et inférieures reste perceptible dans l’analyse de leur rapport à la ville. Les classes moyennes supérieures ont tendance à valoriser les centres historiques et les grandes villes, minimisant ainsi les pratiques des centres de périphéries, jugés trop inesthétiques. Les classes moyennes inférieures, quant à elles, demeurent peu attachées à la ville synonyme de difficulté de stationnement, de foule ou encore de peur d’agression : elles valorisent les centres de périphérie. Enfin, cette division entre classes moyennes supérieures et inférieures peut être également appréhendée au regard de l’attachement culturel de ces classes à leur territoire. Les classes moyennes inférieures peuvent être constituées des « héritiers » et des « locaux » qui cultivent une représentation de la campagne comme terroir. Ils favorisent l’écriture d’une histoire locale, attachée à l’authenticité de ce territoire.

À l’inverse, les classes moyennes supérieures qui peuvent être constituées de « colons » favorisent un attachement culturel plus esthétique qu’historique. Les impressions visuelles sont la source de la définition pour l’établissement d’un cadre de vie idéal.

« Dans les 44 huiles et les 43 aquarelles de Cézanne ayant comme prétexte la Sainte Victoire, il y a en effet, à la fois la reconnaissance rassurante, pour le « local », d’un profil presque toujours appréhendé depuis le chemin d’Aix (l’actuelle route Cézanne), mais aussi, pour le « colon », les multiples entrées et voies pour percer le mystère de ce rapport entre la forme et la lumière qui fascine et obsède le peintre » (Pinson, 2006).

 

Enfin, la différenciation des périurbains peut s’expliquer également par leur âge ou encore leur genre. En effet, l’âge reste primordial pour comprendre la diversité des rapports et des liens qui se tissent entre les individus du périurbain, la scolarité et l’activité professionnelle demeurant les bases des pratiques spatiales périurbaines. Par exemple, les jeunes enfants sont plus tournés vers un territoire local qui peut être expliqué par un attachement à l’école ainsi qu’aux activités culturelles et sportives, situées au sein de la commune ou dans un rayon proche. En revanche, les adolescent·e·s orientent leur quotidien vers la ville en allant au collège ou au lycée, établissements éloignés de leur domicile. Ces pratiques quotidiennes lointaines induisent des nouveaux trajets qui autorisent l’étalement progressif des pratiques spatiales. Mais cette grande diversité peut également s’expliquer du point de vue du genre, selon que l’on se conforme au modèle traditionnel de la famille ou au modèle du couple égalitaire.

Au niveau du travail, les déplacements de la femme sont généralement minimisés pour permettre plus de tâches domestiques ou autoriser la gestion des enfants. Et cette différenciation se poursuit dans l’analyse des modes d’habiter : en effet, les femmes sont, par exemple, plus investies dans les rapports au village périurbain, notamment par l’intégration via l’école. 

 

« Loin d’habiter au sein d’un monde bâti, nous bâtissons au sein d’un monde habité » (Rozenberg, 2020). Ainsi, pour approcher les périurbains, il nous faut être attentifs à leurs modes d’habiter. Bâtisseurs de cette périphérie, les habitantes et habitants du périurbain convoquent une grande diversité d’identités ouvrant sur la compréhension d’un espace plus complexe qu’il n’y paraît : « L’hétérogénéité intrinsèque des modes d’habiter périurbains et la prégnance des logiques d’individus recoupent, sans y être strictement calquée, les divisions observées au plan socio-résidentiel et permet de rompre définitivement avec l’image un peu simpliste d’un espace homogène, faute de diversité » (Cailly & Dodier, 2007).

 

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Bibliographie 

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CAILLY Laurent, DODIER Rodolphe (2007) La diversité des modes d’habiter des espaces périurbains dans les villes intermédiaires : différenciations sociales, démographiques et de genre, Norois [En ligne], nº 205, 2007/4, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté en novembre 2020, URL: http://norois.revues.org/1266  

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PINSON, Daniel (2006) La Faute à Cézanne ? A propos de la perception du pays d’Aix par ses nouveaux habitants de villas. In : Berque Augustin, Philippe Bonnin, Cynthia Ghorra-Gobin. La ville insoutenable, Belin, p. 56-66.

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ROZENBERG, Guillaume (textes réunis et présentés par) (2020) La culture en débat, l’anthropologie en question.

Les Carnets de Bérose (Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie)  n°13, Paris. Bérose. URL: https://www.berose.fr/article1934.html 

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Les couronnes périphériques   

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