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Diaspora

Par MICHELANGELI Don Antoine

 Au-delà d’être un simple phénomène migratoire, la diaspora constitue avant tout un sentiment d’appartenance à une population et/ou à une nation. L’étymologie même du mot nous renseigne qu’il vient du verbe grec speirein (semer) ou plus précisément du verbe composé diaspeirein (disséminer) et indique la dispersion d’une population. Ainsi, dans cette étymologie nous retrouvons le terme de population, indissociable de la notion de diaspora, qui nous renvoie à un ensemble de personnes constituant, dans un espace donné, une catégorie particulière. Michel Bruneau, dans son ouvrage Diasporas et espaces transnationaux (2004), nous en donne une définition claire et précise. En effet, ce dernier désigne la diaspora comme un phénomène migratoire et transnational répondant à quatre principaux critères: 

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          - une population dispersée sous la contrainte dans plusieurs lieux ou territoires non immédiatement voisins de celui d’origine;

          - des territoires de destination choisis en raison de la constitution de chaînes migratoires qui relient les migrants à ceux qui sont déjà installés dans les pays d’accueil ;

         - une population s’intégrant dans les pays d’accueil sans s’assimiler, c’est-à-dire conservant une conscience identitaire, liée à la mémoire de la société et du territoire d’origine;

         - des groupes dispersés qui conservent et développent entre eux et avec la société d’origine, des échanges matériels et immatériels organisés en réseaux (de personnes, de biens, d’informations ou encore de capitaux).

 

Ce phénomène de diaspora concerne plus particulièrement, historiquement en tout cas, la dispersion de la population juive qui s’articule sur des motifs d’exil et de persécution au sein d’un complexe mû par la religion. Nous pourrions trouver les origines de cette diaspora également dans la dispersion de la population grecque, notamment celle phocéenne, qui fonda en 600 avant J.-C., la cité de Massalia, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Marseille. Dans le XXè siècle, de nombreux autres mouvements de population entraînèrent la création de nouvelles diasporas: russe, arménienne, italienne, irlandaise... C’est d’ailleurs grâce à ces mouvements de population, que l’on parle aujourd’hui beaucoup plus de cette notion de diaspora. En effet, comme le précise Stéphane Dufoix dans La dispersion, une histoire des usages du mot diaspora, en France comme ailleurs dans le monde, le mot diaspora est très récemment devenu un mot du vocabulaire courant. Particulièrement lorsqu’il s’agit de parler de manière générale de toute forme de lien existant entre des individus ou des groupes, et les terres, les États, les nations ou les peuples auxquels ils s’identifient. De nos jours, ce terme fait même partie des lexiques politique, économique, journalistique, juridique mais aussi scientifique et son utilisation ne fait que croître dans chacun de ces domaines, bien au-delà de la seule dimension migratoire mais aussi bien au-delà de son acceptation initiale, intimement liée à l’histoire du peuple juif.

 

Nous ne pouvons également pas passer à côté de la notion de nationalisme dans cette définition du terme diaspora. Comme Michel Bruneau le souligne, après avoir pris le temps d’un travail de définition approfondi, le phénomène de la diaspora s’offre à la recherche comme une « notion encore incertaine ». Néanmoins, Bruneau prend appui sur l’histoire très précise de ce mot, bien que très ancienne, par son savoir et son apport des connaissances des mondes juif et grec. Michel Bruneau dresse alors le parcours du mot diaspora et surtout de son sens. De cette notion que l’on pourrait qualifier de « judéo-centrée » dans son cas, il montre avec une très grande efficacité à la fois le glissement sémantique qu’elle connaît au cours de son inscription dans le matériau théorique des sciences sociales mais aussi la difficulté progressive que revêt son utilisation avec les nombreux mouvements de population à la fin des années 1980. Tout en ne manquant pas de signifier ce problème de perte de sens du fait d’une surutilisation du terme comme synonyme de dispersion, d’émigration massive, l’auteur souligne avec une grande justesse l’enrichissement des nombreux débats autour de la notion de diaspora avec le tournant post-moderne.

 

Pour leur part, Christine Chivallon, lorsqu’elle définit le mot diaspora dans le dictionnaire en ligne Anthropen ainsi que Jean-Pierre Castellani, dans Corses de la Diaspora nous précisent qu’il est en train de s’opérer une perte de sens de la définition. En effet, alors que l’on assistait à des dispersions de population auparavant dues à des persécutions et des obligations, aujourd’hui la diaspora caractérise pour la plupart du temps des personnes parties de leur territoire d’origine pour vivre leur destin ailleurs, alors que d’autres sont revenues dans ce territoire, que Christine Chivallon qualifie de homeland (mot anglais désignant la terre où nous sommes nés), pour y développer leur carrière, voire parfois en commencer une autre. Au sein même de certains pays, nous pourrions remarquer des rassemblements de personnes d’une même population pouvant générer des diasporas: en France, nous pourrions par exemple citer la diaspora corse. 
 

Avec l’exemple corse, nous pouvons nous rendre compte que la diaspora est aujourd’hui bien différente. Nombreux sont ceux qui font des incessants allers-retours entre le monde extérieur et l’île dont ils sont originaires. Cependant, tous manifestent un très profond attachement à leur terre. Les nombreuses mutations assez récentes modifient également fondamentalement les motivations et les expériences de la diaspora corse. En effet, il existe plusieurs raisons qui se superposent et donc qui permettent d’établir les conditions d’une nouvelle diaspora: la décolonisation dans les années 1950 et 1960, la création de l’université de Corse en 1982, le phénomène du Riacquistu (1) et son effervescence créatrice dans tous les domaines entre 1970 et 1975, la paix désormais retrouvée dans l’île ou encore l’avènement d’internet. Tout cela bouleverse la notion d’isolement insulaire.

Les raisons de partir sont aujourd’hui bien moins fortes ou différentes. Les jeunes Corses sont mieux formés et davantage tentés par vivre leur destin en Corse mais aussi, de façon apparemment paradoxale, de vivre, pourquoi pas, une expérience sur le continent ou même à l’étranger. Dans de nombreux cas, le retour au pays n’est plus l’occasion d’y construire une maison ou un tombeau mais pour y poursuivre des activités professionnelles.

Ce système d’aller et retour ne peut être que fructueux pour ceux qui le vivent et pour la Corse. Il est cependant totalement contraire au départ définitif. Ces personnes restent corses mais elles deviennent enrichies de l’expérience toujours valorisante d’un séjour à l’étranger. Les récits présentés dans l’ouvrage de Jean-Pierre Castellani en sont une illustration.

 

En effet, cette diaspora s’est fortement inspirée des théories pouvant être qualifiées de radicales du docteur et homme politique Edmond Simeoni, père du nationalisme corse. Ce dernier est le premier instigateur de la notion de diaspora corse en se basant sur la période de Riacquistu, ou de «renouveau culturel» en français.

Cette expression utilisée pour qualifier ce phénomène sociopolitique très précis correspond en fait à une période de «réappropriation»: réappropriation de la langue, des expressions artistiques et culturelles, des savoir-faire, réactivation ou recréation d’une forme d’identité collective ou même réappropriation de l’histoire commune.

Les théories de Simeoni, basées sur cette période précise, nous permettent de comprendre l’attachement tout particulier des corses envers leur île, sentiment qui mène à pouvoir parler de peuple corse. Cette notion de peuple corse est née, au delà de la simple notion de nationalisme, d’une recrudescence de la langue corse depuis plus d’une trentaine d’années. En effet, cet attachement à la langue, que l’on peut retrouver partout dans l’île par un bilinguisme des panneaux de signalisation, de toute la signalétique de l’Université de Corse ou encore dans certains rayons de supermarchés participe à l’attachement régional, voire national pour certains, et donc à la création de diasporas lorsque les corses quittent leur île. 

 

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Ce sentiment d’attachement demeure tout de même très contrasté avec la réalité qui fait que la plupart des jeunes corses sont obligés de quitter leur île, du fait du manque d’infrastructures scolaires présentes. Ainsi, on assiste à un sentiment partagé entre une volonté de rester attaché à ses racines et une potentielle obligation de départ. C’est cette dualité qui entraîne la plupart des jeunes à se rassembler en dehors de leur île et à créer des communautés différentes que l’on pourrait qualifier de diaspora. La revendication d’une diaspora suppose donc obligatoirement l’idée de la dispersion spatiale d’un peuple mais aussi la conscience affirmée d’une origine commune qui implique une solidarité culturelle, affective, politique ou encore gastronomique.

On peut dire qu’on est en diaspora avant d’être de la diaspora. On peut, en effet, constater qu’il existe un « passage de l’amicalisme » (Castellani, 2008 : 240) entre les personnes, efficace à court terme mais sans vision ni perspectives, qui évolue lui aussi, à un engagement qui pourrait être plus politique. Cela entraîne donc toutes les conditions pour que la diaspora devienne un réseau de travail. Dans cette nouvelle perspective, le phénomène de la diaspora n’est plus seulement la manifestation d’un appel inquiet vers l’extérieur mais c’est bien la base de l’édification d’un territoire qui serait enrichi des expériences différentes et ensuite rassemblées de ceux qui sont partis et qui reviennent unis à ceux qui restent et ceux qui peuvent éventuellement s’apprêter à partir, dans un mouvement d’aller et retour qui a toujours caractérisé les habitants de l’île. 

 

Toutes ces théories de la diaspora corse s’inspirent donc des théories d’un seul et même homme: le docteur Edmond Simeoni qui, lors d’un discours retentissant le 17 août 1975 pose les premières bases du nationalisme corse tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ce discours prononcé à Corte, quelques jours avant les fameux événements d’Aleria, sera analysé comme un feu vert pour les actions violentes qui ont déjà débuté avec des séries d’attentats et des velléités de franchir un cap de la part des militants étudiants. Face à la fermeture affichée du gouvernement, il affirmera à la tribune le 17 août 1975, sous un chapiteau bondé: « l’ARC peut offrir aujourd’hui au peuple corse, avec l’esprit de sacrifice au service d’une cause sacrée, la liberté et le sang de ses militants ».

Le docteur Simeoni soutient une revendication nouvelle et protéiforme, à la fois d’une dénonciation de la mainmise des clans sur la vie politique locale, d’une redécouverte de la culture traditionnelle corse, d’une lutte contre la spéculation et surtout d’une lutte pour la défense de l’environnement. Toutes ces théories permettent la montée d’un sentiment nationaliste de plus en plus important et donc d’un sentiment d’appartenance à la nation corse de plus en plus grand.

 

Il est donc aujourd’hui très difficile de donner une définition au mot diaspora. En effet, ce terme regroupe des théories très larges et variables historiquement ce qui nous donne à penser la question de l’histoire des mots.

En effet, la définition de base de la diaspora renvoyait uniquement à une dispersion de population sur des territoires donnés particulièrement due à des persécutions sur leur territoire d’origine. Aujourd’hui, cette définition peut prendre un sens plus large avec les théories nationalistes montantes de la fin du XXè siècle. Nous pourrions dire que les usages que l’on fait de ces mots peuvent avoir une histoire précise et de la même façon les mots que l’on donne aux usages ont une histoire également. Il est donc possible de la retracer, y compris sur le très long terme. La notion de diaspora prend ses racines dans l’histoire même des usages que l’on en a fait. Une diaspora se caractérise donc toujours par cette « dispersion » ou « dissémination » de personnes, comme auparavant, mais aujourd’hui pour des raisons bien différentes.

 

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Note :

(1.) Le Riacquistu est une période précise des années 1970, en Corse. Loin de concerner la seule littérature, elle se signale par un renouveau culturel bien plus ample, accompagné par un large mouvement de régionalisme de progrès. Source : InterRomania.

 

 

BIBLIOGRAPHIE:

 

BRUNEAU Michel, Diasporas et espaces transnationaux, Paris, éditions Economica (Anthropos Ville), 2004.

 

CASTELLANI Jean-Pierre, Corses de la diaspora, Alata, éditions Scudo, 2008.

 

CHIVALLON Christine, Diaspora, Anthropen.org, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2017, consulté le 25 novembre 2020, URL : https://www.anthropen.org

 

DUFOIX Stéphane, La dispersion, une histoire des usages du mot diaspora, Paris, Éditions Amsterdam, 2011, ch. 3: « Du dépassement de la nation ».

 

SIMEONI Edmond, L’entrée en lutte armée de l’ARC, IXè Congrès de l’ARC - l’ Azione per a Rinascita di a Corsica, Chapiteau de Corte, le 17 août 1975.

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© Jérôme Cabanel 

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