NOMMER LES ÊTRES, NOMMER LES LIEUX
APPRIVOISEMENT, APPROPRIATION, DOMESTICATION
Par OLIVE-CHEDORGE Marie, POIRAUD Elsa et VIEU-DURIEUX Elsa
Le terme « habiter » est un terme central dans les questions anthropologiques et sociales actuelles. Autour de cette notion, plusieurs concepts gravitent, venant complexifier la signification de l’habitat. Les Hommes, les animaux et les végétaux prennent part de notre monde, et interagissent entre eux. Chacun s’exprime différemment, doit composer avec les autres, ainsi l’acte d’habiter devient contraint des relations entre les divers acteurs sociaux.
De plus, trois concepts forts parallèles permettent de préciser leurs liens : l’APPRIVOISEMENT, l’APPROPRIATION et la DOMESTICATION. Si à première vue ces termes peuvent sembler vagues, nous allons voir qu’ils définissent et concrétisent les relations entre trois catégories d’êtres vivants : l’Homme, l’animal et le végétal. Ont-ils des similitudes ? Existe-t-il des différences entre ces trois points ? Quels liens entretiennent-ils ?
Quelque soit la nature de leurs liens, un sentiment de dépendance et de domination les unis. Chacun d’entre eux a un rapport de domination l’un sur l’autre, particulièrement l’Homme. En effet, l’Homme peut être vu comme un être dominant sur le végétal et les animaux, de par son activité et sa gestion du monde actuel. Cependant, il peut être aussi un être qui dépend d’eux, dépendance affective avec un animal de compagnie par exemple, ou dépendant de la poussée d’espèces végétales… Ainsi, il y a la une double interaction entre eux : la dépendance et la domination.
Selon notre point de vue, l’APPRIVOISEMENT concerne une action visant la maîtrise et la soumission d’un animal.
Ici, l’Homme a dominé l’animal pour le rendre moins sauvage, moins dangereux et ainsi plus docile. Il s’est familiarisé avec celui-ci.
Depuis l’apparition des sociétés humaines, l’animal sauvage est de moins en moins présent, au profit d’un élevage (parfois intensif) des différentes espèces domestiquées (CIWF, 2019). Ainsi, parallèlement à ça, l’habitat sauvage de l’animal change ainsi considérablement avec l’action invasive de l’Homme dans son milieu naturel. Cependant, depuis des milliers d’années, l’animal apparaît aussi comme un point essentiel dans l’habitat et l’affectif de l’Homme, au vu de son importance dans le foyer. Depuis plus de 15 000 ans (Vigne, 2018), les chiens vivent aux côtés des Hommes et occupent une place conséquente dans notre quotidien : promenade, jeux, repas, câlins...
C’est la première espèce animale que l’Homme a apprivoisé. En effet, l’animal comme « objet domestique » joue une importance fondamentale dans l’affectif et le confort de l’Homme. Le concept des bars à chats illustre parfaitement ce propos, des personnes viennent consommer dans un café tout en caressant et jouant avec les animaux. Ces lieux exploitent les vertus du ronronnement des chats qui auraient des valeurs thérapeutiques contre le stress, l’insomnie ou encore l’anxiété pour les Hommes (Hebbali, 2013). On pourrait ainsi dire qu’il y a une forme de dépendance de l’Homme envers l’animal.
Quant à l’APPROPRIATION, celle-ci sous-entend une adaptation selon un usage ou une destination propre. Ici, les acteurs les plus concernés apparaissent comme l’Homme et le végétal. En effet, comme l’explique Bénédicte Ramade, en 2015, dans sa conférence « La dissidence botanique comme modèle d’action », au cours du temps, l’Homme s’est approprié et a sélectionné de nombreuses plantes pour leurs bienfaits thérapeutiques. En effet, le végétal a bien un pouvoir sur les Hommes. On connaît certaines espèces de plantes pour leurs vertus médicinales. Cependant, l’Homme a aussi une relation de pouvoir avec le végétal. En effet, il a énormément modelé son habitat en enlevant et supprimant du végétal et cela depuis des milliers d’années (GoodPlanet mag’, 29/06/2011). Lors de la construction et de l’urbanisation des villes, une campagne de déforestation a détruit une grande partie des forêts européennes. Si aujourd’hui, sur notre continent la déforestation n’est quasiment plus présente grâce à la replantation de bois, ce n’est cependant pas le cas pour toute la planète, à l’image de la déforestation massive en Amazonie (Meyerfeld, 2020).
Parallèlement, l’Homme a aussi rejeté beaucoup d’espèces de plantes présentes dans les villes, les qualifiants de « mauvaises herbes ». Il a ainsi voulu exterminer ces « herbes » pour rendre les villes plus propres, et « soit disant plus saines ». Cependant, d’après l’opinion publique, on sait aujourd’hui que le végétal peut posséder, dans certains cas, un pouvoir invasif puissant. Certaines espèces végétales s’approprient l’espace urbain, malgré la volonté de l’Homme, à l’instar des racines des arbres apparentes. On peut donc dire que les plantes habitent les espaces publics. Face à ces phénomènes, l’Homme et le végétal doivent coexister pour construire la ville d’aujourd’hui et de demain. Ainsi chacun pourra tirer profit de cette relation.
Enfin, la DOMESTICATION apparaît elle, comme la domination sur le végétal et l’animal. En effet, nous considérons la domestication comme un changement (ajout, suppression ou variation) de caractère morphologique, physiologique ou comportemental d’une espèce. Cette action vise à amener une soumission. Ce terme peut être très proche de l’apprivoisement et dans le sens courant du terme peut apparaître comme un synonyme.
Cependant, dans une définition plus précise de ces termes, si l’apprivoisement renvoie à une notion de maîtrise comportementale, la domestication renvoie elle, à l’idée d’un contrôle et d’un changement de caractéristique.
En effet, la domestication résulte d’une interaction et d’un contrôle identitaire de la part de l’Homme. L'interaction prolongée et le contrôle que l’humain peut exercer peuvent engendrer des modifications comportementales pouvant se répercuter sur le patrimoine génétique. Par exemple, le fait d’isoler une espèce animale atténue, voir supprime le génotype sauvage de l’espèce. Ainsi, la domestication peut induire la création d'espèces génétiquement modifiées (DIGNARD, 2015).
Si, comme nous l’avons vu, le chien est l’ami de l’Homme depuis des millénaires, cela ne n’est pas le cas des autres espèces animales. La domestication des bovins, des porcs ou mêmes des chats ou autres, date depuis beaucoup moins longtemps (Vigne, 2018).
Malgré tout, au cours de l’Histoire, l’Homme a su domestiquer un grand nombre d’espèces. Selon les espèces, l’humain a transformé celles-ci en animal domestique, dans le sens courant d’« animal proche de la maison », tant pour la domestication de l’animal d’élevage (bovidés, porcs), ou encore de l’animal sauvage (éléphants, lions, tigres, par exemple).
De plus, étymologiquement parlant, la domestication vient du latin « domesticus » , dérivé du latin « domus » qui signifie la maison. Ainsi, on peut dire que l’Homme domestique l’animal pour s’en servir dans son habitat quotidien mais l’animal créer également un dépendance vis à vis de l’Homme : ils se tiennent donc mutuellement compagnie.
Enfin, comme l’évoque, Mathieu Vidard (2018), la domestication est une étape de l’histoire humaine qui a permis l’émergence de sociétés complexes. L’écosystème actuel repose principalement sur la domination et la domestication de l’Homme sur son environnement.
Parallèlement l’Homme a créé de nouvelles espèces au vu de son savoir et de sa technologie, créant ainsi une hybridation de l’état naturel. Cet acte dépend aussi de l’acte de domestication, car l’Homme s’empare et modifie des caractères comme nous l’avons vu dans la définition courante du terme. Cette action est particulièrement pratiquée dans le cadre d’une commercialisation de végétaux à grande échelle. Les caractères choisis par l’Homme seront ainsi mis en symbiose, il y a ainsi un réel contrôle humain. L’hybridation de deux caractères variants va ainsi produire des « variétés hybrides » (Gallais, 2016). L’hybridation peut donc concerner à la fois les animaux (croisement de races et changement de génotypes dues aux facteurs extérieurs) et les plantes. Cependant, on peut noter que celle-ci s'opère davantage dans le domaine végétal.
L’écosystème actuel repose sur la domination et la domestication de l’Homme sur son environnement. Ainsi, à travers ces différentes notions on peut voir que chacun apparaît dépendant ou indépendant, dominé ou dominant de l’autre. Toutes ces interdépendances ont créé le monde, la société et ainsi l’habitat actuel
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BIBLIOGRAPHIE
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DIGNARD Jean-Pierre, 2015, Dictionnaire des idées et notions en sciences sociales, Paris, Encyclopaedia Universalis.
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GALLAIS André, 2016, « L’hybridation dans le monde végétal », in: Gwiazdzinski Luc (ed.) L'hybridation des mondes. Les territoires et les organisations à l'épreuve de l'hybridation, Paris, Elya, pp.29-35. URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01756565/document
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MEYERFELD Bruno, 2020, « Au Brésil, la déforestation de l’Amazonie au plus haut depuis 2008 », Le Monde, 2 décembre 2020.
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RAMADE Bénédicte, 2015, « La dissidence botanique comme modèle d’action », Présentation faite dans le cadre du colloque Des formes pour vivre l'environnement : Théorie, expérience, esthétique et critique politique, Colloque international organisé par le CRAL (CNRS/EHESS) et le LADYSS (CNRS/Univ. Paris).
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PRESSE. ÉMISSIONS DE RADIO & DE TÉLÉVISION
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HEBBALI Amel, 2013, « « Bars à chats » : la ronronthérapie à portée de café », France tv, 12 août 2013.
VIGNE Jean-Denis, 2018, « Le chien est sans doute le premier animal domestiqué par l’Homme », France Inter, 12 mars 2018.
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VIDART Mathieu, 2020, « Histoire de la domestication animale », France Inter, le 4 Novembre 2020.
« 2011, année des forêts : la déforestation dans l’histoire », GoodPlanet mag’, 29 juin 2011, URL : https://www.goodplanet.info/2011/05/12/2011-annee-des-forets-le-sens-des-chiffres-de-la-deforestation/
« Mettre fin à l’élevage intensif », rubrique « Un peu d’histoire », CIWF France, 2019, URL : https://www.ciwf.fr/mettre-fin-a-lelevage-industriel/