top of page

ABRI(S)

Par PASCAL Antonin
 

L’abri est un fait naturel qui contrairement à l’habit ne concerne pas que l’humain, les plantes, les animaux sont aussi amenés à s’abriter. Les jeunes pousses se développent sous le couvert de la canopée leur servant d’abri. Il est une des conditions primaires de l’habitabilité et correspond à une relation de la vie à son environnement.

Il constitue un filtre interposé entre l’habitant·e et son milieu. Il trouve son utilité dans l’équilibre entre ce milieu et ce corps le pratiquant, l’Homme doit s’abriter là où l’ours polaire se suffit de sa fourrure. L’abri apporte une protection, il est amené à interagir avec toutes les composantes dynamiques de l’environnement, la météorologie bien sûr mais aussi les autres êtres vivants. Il évoque la fragilité et l’interdépendance des conditions d’existence et y répond par une composante matérielle.

 

L’abri est une forme matérielle répondant à un corps fragile. La bulle, le cocon sont des images qui s’y rapportent, elles évoquent une membrane protectrice qui rappelle également le ventre maternel. Un abri peut être vivant, illustrant les rapports de complémentarité de la vie. Il évoque un rapport primitif aux éléments architecturaux, un toit abrite de la pluie tout comme une feuille de bananier ou un rocher plat. L’abri accompagne la vie en formant son cadre protecteur. 

 

L’abri intervient dans une situation de vulnérabilité. Il est donc éphémère, situationnel pour une averse, l’hiver, la nuit, une situation sociale... Le terrier sert ainsi d’abri pour la période délicate des naissances à de nombreuses espèces.  On voit ici la distinction avec l’habitat, espace de vie du quotidien, l’habitat peut toutefois accueillir des abris « habituels » ; il en est ainsi de la branche sur laquelle la poule se perche tous les soirs où du dessous d’un lit. L’absence d’abri est une situation périlleuse autant dans la nature qu’en milieu urbain. C’est dans ces situations de grande précarité que la nécessité d’avoir un abri devient évidente. 

 

L’abri existe en dehors du cadre social, avec une valeur appropriable, de par sa nécessité, ce qui en fait un refuge des corps en marge. Il n’est pas exclusif, il peut être partagé, agglutiné comme sous un débord de toit ou dans un refuge de montagne abritant alpinistes et musaraignes qui y trouvent une source de chaleur. Il peut être universel tel l’océan pour les animaux marins ou la couche d’ozone qui nous abrite des rayons ultraviolets du soleil comme il peut être beaucoup plus fugace, improviste ou léger. 

_20190205_233512.JPG

Amour en cage, Physalis abrité dans son calice. 

L’abri est une situation spatiale. Il implique une limite, une distinction entre un intérieur abrité et un extérieur exposé. Il rejoint en cela la question de territoire. Par sa connaissance et son aménagement le territoire devient protecteur. Le fait de s’approprier, d’établir un contrôle sur un espace est une manière de s’abriter. C’est dans ce sens qu’ont étaient mises en place les frontières. Malheureusement aujourd’hui nous sommes loin de cette représentation de lignes protectrices et les zones frontalières sont destructrices de vie humaine comme d’humanité. Marqueur de l’altérité, l’abri entre ici dans un rapport de force.

 

L’abri fait partie de la société humaine. Les groupements humains ou non humains sont déjà une forme de protection mutuelle. Les établissements humains comme le campement, le village où la ville abritent leurs populations face à différentes menaces réelles et fictives. Hors de ces cadres sociaux, les mondes sauvages ou barbares évoquent la peur. La notion humaine d’abri se concentre aujourd’hui autour de l’idée d’altérité. La limite prend le pas sur le partage, les murs poussent de toute part et la sécurité prend le dessus sur les libertés. On se barricade dans des gated communities laissant les sans-abris sur le pas de la porte. Mais la barricade est aussi un abri. Des formes d’abri mutuelles, engagées, fleurissent sous la forme de cabanes. Ces cabanes sont établies pour des luttes de territoire où se joue la sauvegarde des abris naturels nécessaire face au superflu de la société.

 

Abriter est une des fonctions premières de l’architecture qui se lit dans les remparts protégeant les villes comme dans les haies abritant les jardins. On retrouve cette fonction à l’origine des institutions qui créent un cadre dans lequel une sécurité est garantie.

Cette protection est étendue aux prolongements techniques que sont les quasi-objets (avec lesquels l’humain fait corps). Aujourd’hui nous avons des abris à poubelle, à vélo, à tracteur ... alors que certains vivent dans des abris de fortune. Dans ce milieu, l’abri de l’Homme à peu à peu évolué jusque l’abri antiatomique où il ne s’agit plus d’abriter une de nos créations mais de s’en protéger, ou plus précisément de se protéger des personnes qui pourraient en faire usage. L’abri finit par nous enfermer dans notre réalité artificielle. Artefact il devient un espace où l’Homme s’abrite de la nature jusqu’à rompre le lien existentiel qui le lie à elle. La membrane lorsqu’elle est de béton devient imperméable et l’abri devient prison, plutôt qu’interface il signifie une rupture. Ces ruptures entre l’Homme et la nature, autant qu’entre les Hommes, font grandir la part d’inconnu. La peur qui l’accompagne renforce la nécessité de l’abri dans un cercle vicieux. On voit ici la nécessité de porosité, de légèreté et de l’aspect éphémère de l’abri dans sa forme naturelle où il reste une zone de contact protectrice.

Marc QUER (r)  sans titre 1991.jpg

© Marc QUER, Sans nom une pièce historique, 1991. 

Mais cette fonction d’abri définie à l’intérieur d’une certaine limite est aujourd’hui remise en question. Les agglomérations se développent sans fin, elles cessent d’être protectrices et deviennent des sources d’angoisse pour leurs habitant·e·s. Aliénantes elles amènent à chercher des abris autant psychiques que physiques. Par ailleurs notre espace familier est envahi par les nouvelles technologies, Éric Sadin (2020) parle du « techno-cocon » dans lequel nous évoluons. Ces outils technologiques prennent un rôle d’abris, les écrans nous rassurent en nous offrant un semblant de contrôle individuel. Par ailleurs la large diffusion de l’information permet de repousser les limites : les territoires humains se distendent et les peurs évoluent faisant appel à de nouveaux abris, mais comment s’abriter de la sécurité généralisée ?

 

L’abri est une notion spatiale correspondant à une situation sensible. C’est un lieu de réconfort où les agressions qu’elles soient réelles ou imaginaires n’ont pas lieu d’être, du moins sont contenues à l’extérieur. Un lieu où l’on se sent à l’abri. Cette sensation peut être liée à la familiarité au lieu. Cette familiarité n’est toutefois pas garante de la protection, les violences conjugales nous le rappellent cruellement. Dans ces situations où le lieu familier se transforme en piège les ressources extérieures sont essentielles. Ici intervient la notion de mettre à l’abri, abriter au sens actif et non transitif. Protéger les personnes ou les espèces vulnérables est une nécessité. Il ne s’agit pas de protéger par la force comme peut le faire la police où l’armée mais bien d’abriter en offrant un espace où les menaces n’ont plus cours, un espace et un temps pour se reconstruire et se familiariser à un nouvel environnement afin que la vie puisse poursuivre son cours. Le fait d’abriter est une responsabilité collective mais l’individu a son rôle à jouer. Face au dérèglement climatique et à ses conséquences pour la biodiversité d’une part, et à la violence institutionnalisée voir banalisée d’autre part, la question qui se pose est : somme nous prêts à abriter ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

​

​

​

​

Les visuels choisis parle de la poétique des abris, de leurs liens avec l'habitabilité du monde, de leur spontanéité. 

​

​

BIBLIOGRAPHIE

​

BESSON Stéphanie, Trouver refuge, histoires vécues par delà les frontières, Paris, Glénat, 2020.

​

DESPRÈS Vinciane, Habiter en oiseau, Paris, Brochet, 2020.

​

SADIN Éric, L’ère de l’individu tyran, Paris, Grasset, 2020.

​

SIMMEL Georg, Les grandes villes et la vie de l’esprit, Paris, Payot 1989, rééd. 2018 [version originale en allemand, rédigée à la fin du 19ème-début 20ème].

DSC_0088.JPG

Promenade abrité,
La Vielle Charité,
Marseille

bottom of page