top of page

CAMPEMENT

Par Laura PERILLAT- AMÉDÉE
 

Campement.jpg

Le campement est une notion qui existe depuis bien longtemps et qui désignait à l’origine un abri le temps d’une nuit ou deux, pour faire face à l’urgence, aux intempéries, à l’ennemi.

« Loger peut dire camper et vient du francique (laubja), qui signifie ‘’abri de feuillage’’ » (Bernardot, 2016, p.127).

La première fois que le terme a été utilisé, il l’a été dans un domaine militaire, comme le dit l’étymologie latine du mot ‘’campus’’ et que l’on retrouve dans les expressions ‘’lit de camp’’, ‘’lever le camp’’, ‘’choisir son camp’’. Mais cette notion de campement est toujours bien contemporaine.

 

Si certains voient à travers la précarité du campement le moyen momentané de sortir du monde confortable dans lequel ils vivent

(randonneur, vacanciers, festivaliers, etc), pour d’autre, la réalité du campement est tout autre et cette précarité est loin d’être désirée.

 

Il est très difficile de définir cette notion de ‘’campement’’ dans le sens où les usages du terme ne renvoient pas à des espaces homogènes. Il n’existe pas un seul et unique type de camps, tous ont des spécificités bien particulières. Nous tenterons alors ici de définir le campement sous l’ange du campement d’infortune et de réfugiés.

 

Michel Agier date l’apparition des premiers ‘’camps d’infortunés’’ (Agier, 2016, p.19) de la fin du XIXe siècle avec les camps d’internement, créés à Cuba par l’administration coloniale espagnole. Ces campements entrent dans la catégorie d’‘’habitats en marges’’ (Durand-Lasserve, 1986), catégorie qui regroupe également les quartiers d’habitats spontanés, les logements insalubres,…, chacune de ces formes d’habitat ayant une organisation, un statut foncier, un processus de développement bien particulier.

 

Selon Alain Durand-Lasserve « le terme de marge s’entend selon une triple acception géographique, sociale et urbanistique. En géographie, la marge désigne la périphérie, la banlieue, une situation éloignée du centre-ville et proche des bordures de l’agglomération. En sociologie, la marginalisation est voisine du processus d’exclusion. En urbanisme, la marge renvoie à des logements construits en dehors des normes» (Durand-Lasserve, 1986). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les habitats en marges sont loin de représenter un poids minoritaire dans les villes en développement, ne serait-ce que d’un point de vue du pourcentage de la population. Aujourd’hui, le nombre de personne encampées dans le monde s’élève à plus de vingt millions, dont 6 millions vivent dans des campements de fortune.

 

Les personnes résidant dans les ‘’campement d’infortunés’’, vivent dans la pauvreté et sont pour la plupart itinérants. Itinérants non pas par choix de vie, mais parce que la précarité et l’insécurité les poussent à partir à chaque fois. Ces personnes passent leur temps à fuir, et la nécessité les pousse à se loger dans l’urgence. Ces personnes peuvent être qualifiées d’’’infortunées’’ ou ‘’réfugiées’’. Michel Agier propose également le terme de ‘’personnes encampées’’ (Agier, 2016, p.18).

 

Leur habitat apparaît comme précaire, prêt à disparaître à tout moment. Mais comme l’explique Michel Agier, parler de ‘’campement précaire’’ (Agier, 2016, p.18) est un pléonasme, puisque que par définition le campement suppose et contient la précarité. Saïd Belguidoum (2009) nous explique, à travers le cas du bidonville de Fontblanche à Cassis, que le campement doit faire face à de nombreuses contraintes : des contraintes physiques, liées à la topographie ou à l’espace disponible ; des contraintes institutionnelles, liées à la tolérance des autorités ; et des contraintes matérielles, liées aux ressources tant économiques que les matériaux de construction disponibles. En effet, les campements sont faits d’objets de récupération trouvés pendant la marche jusqu’au campement. Ces personnes doivent improviser avec leurs possibilités financières et ce que le site veut bien leur offrir. Leur abri doit être montable et démontable rapidement, mais également déplaçable, pour ne pas avoir à tout recommencer de nouveau en cas de changement de camp. Quand les réfugiés ou les immigrés se sentent plus en sécurité dans un lieu, ils vont améliorer leur abri, l’agrandir, le construire en dur, avec plusieurs pièces et sur plusieurs étages. Ces campements ne sont jamais pensés pour une installation pérenne, même lorsqu’ils durent, le manque de confort est notable.

Habiter le campement, signifie donc habiter le mouvement, habiter en mouvement.  

 

L’étude des trajectoires des migrants montre que ces campements se forment généralement là où le périple de ces populations rencontre un obstacle, notamment au niveau des frontières. La temporalité devient très vite un critère de réalité importante dans les campements. Ils sont construits pour le moment présent et ne savent pas ce qu’ils seront demain, s’ils existeront encore.

Michel Agier évoque l’idée qu’on puisse utiliser le terme de ‘’zone d’attente’’ (Agier, 2016, p.28) pour qualifier ces campements. Les frontières deviennent donc des espaces de mise en attente où s’organise la vie des migrants en attente de reconnaissance, d’un logement, ou d’une prise en charge.

 

Dans l’attente, une solidarité entre les infortunés se crée. Le campement devient le support d’une vie sociale particulière et propre aux camps en question. « Dans les campements s’inventent donc de nouvelles sociabilités et urbanités en marge. (…) Habiter le campement, c’est aussi habiter l’altérité, rencontrer l’hospitalité ou plus souvent se confronter à l’inhospitalité » (Amsellem, 2016, p.8).

 

Rappelons que toutes les villes, des plus anciennes au plus récentes, n’ont été au début qu’un campement. C’est le même cas avec les campements d’infortunés où, avec les temps, les réfugiés réinventent des urbanités, le camp devient alors ville. A l’intérieur une nouvelle forme d’architecture se développe, une architecture qui se libère des formes imposées par le modèle occidental, une architecture innovante et créative qui cherche uniquement à être la plus pragmatique possible et répondre à une crise du logement.  Ces campements peuvent être perçu comme une ville en kit, une ville que l’on peut construire et déconstruire facilement et où l’on retrouve tous les éléments fondateurs de la ville : la place, les commerces, les habitations.

De par leur image dérangeante les campements sont mis à l’écart de la ville existante, créant alors une ville à l’extérieur de la ville, mais une ville qui ne figurera sur aucune carte : ‘’des non-lieux pour des non-citoyens’’ (Agier, 2016, p.25).  Michel Agier parle également de la ville des ‘’enfermés dehors’’ (Agier, 2016, p.25). Et comme on l’a vu précédemment, les campements sont des habitats en marge de la ville et dont le sujet a longtemps été si tabou, qu’on a préféré le nier, le masquer, pour chercher à l’oublier plutôt que tenter de le résoudre. « L’encampement, c’est peut-être enfin le découpage des zones dites « sensibles » de nos banlieues, avec son régime de discriminations et d’inégalités, d’absence des services publics de l’école ou de la santé» (Agier, 2016, p.22).

 

Depuis 2015, cette tendance commence à s’inverser, notamment par la mise en lumière de la crise des migrants par les médias. Rappelons-nous de cette image choc, d’un enfant migrant, mort échoué sur la plage qui a fait la une des journaux mondiaux le 2 septembre 2015. Cette image a suscité une prise de conscience de la population mondiale sur la situation actuelle des migrants ainsi une grande indignation sur les réseaux sociaux. Depuis, un nombre grandissant d’ONG s’engagent dans ces questions de résorption, poussant également les acteurs publics à mettre en place de nouvelles politiques.

 

Michel Agier nous fait aussi remarquer que le campement des infortunées est porteur de nombreux paradoxes : « on y manque d’eau mais tout est détrempé, on y souffre de froid mais on y meurt dans les incendies, on y redonne vie à des déchets mais on est traité comme tel » (Agier, 2016).

Ces campements sont aussi « une forme attirante ou repoussante, lieu de désir, de curiosité et de sollicitude ; ou lieu de répulsion, de rejet ou de racisme, de la part du ‘’riverain’’ dérangé par cet encombrement urbain » (Agier, 2016, p.17).

Le paradoxe le plus fort restant le fait que le campement est construit pour ‘’durer dans le provisoire’’ « le caractère éphémère d’une installation qui pourtant n’en finit plus de durer, dissimulant ainsi une installation durable dans le provisoire » (Belguidoum, 2009, p.243).  Ces campements sont aussi porteurs de paradoxes politiques, en effet, certains acteurs publics voient au travers de cette urbanisation informelle, une manière d’autonomiser les populations dans la création de leur habitat, solutionnant alors eux-mêmes les problèmes de développement et facilitant ainsi le travail des pouvoirs publics. Il arrive même que les élus prennent en charges certains aménagements, liés aux réseaux, par exemple, en contrepartie du vote des habitants du quartier, lors de campagnes électorales.

 

Enfin, dans ‘’camper’’ on peut également entendre ‘’décamper !’’ (Meadows, 2016, p.13). En effet, ces campements sont soumis à une révocabilité radicale et « au bon vouloir du voisinage et des autorités » de par leur image dérangeante dans la société. Ils peuvent donc, d’un jour à l’autre faire l’objet d’une opération de démantèlement ou de relogement, comme ce fut le cas pour le bidonville de Fontblanche où, dans le cadre de la résorption de l’habitat insalubre, « quarante des habitants du bidonville seront relogés dans une résidence sociale construite sur leur ancien ‘’village’’. Les autres décédés ou rentrés en Tunisie » (Belguidoum, 2009, p.244). A partir de là, l’avenir de cette population devient alors encore plus incertain…

BIBLIOGRAPHIE

AGIER Michel «Habiter le mouvement, l’exception nomade» dans MEADOWS Fiona, Habiter le campement, Arles, Actes Sud et Cité de l’architecture & du patrimoine, 2016, p.16-29.

AMSELLEM Guy « Habiter l’inhabitable ?» dans MEADOWS Fiona, Habiter le campement, Arles, Actes Sud et Cité de l’architecture & du patrimoine, 2016, p.7-9.

BELGUIDOUM Saïd « Les avatars de l’immigration du deuxième âge, Chronique des ‘’oubliés’’ de Cassis »,  NADQ, n°26-27, 2009, p.235-245, disponible sur https://www.eurozine.com/les-avatars-de-limmigration-du-deuxieme-age/

BERNARDOT Marc «Campement d’infortunés, figures, topiques, politiques» dans MEADOWS Fiona, Habiter le campement, Arles, Actes Sud et Cité de l’architecture & du patrimoine, 2016, p.126-132.

DURAND-LASSERVE Alain  L’exclusion des pauvres dans les villes du tiers-monde, Paris, L’Harmattan, 1986.

 

MEADOWS Fiona « Habiter le monde autrement » dans MEADOWS Fiona, Habiter le campement, Arles, Actes Sud et Cité de l’architecture & du patrimoine, 2016, p.10-15.

bottom of page