NOMMER LES ÊTRES, NOMMER LES LIEUX
EXPÉRIENCE MÉDIALE
Par WONG SO Coline
Le vécu d’un·e habitant·e reflète l’appropriation et les conditions d’échanges qu’il/elle use avec son environnement. Cependant, cette sensation reste difficile à exprimer simplement. Annabelle Morel-Brochet (2012) a su s’en saisir pour rendre l’indescriptible identifiable. C’est pour cette raison, grâce au terme médial et à l’explication de celui-ci en combinaison avec l’expérience du lieu, qu’est né l’intérêt d’une compréhension de ces processus et de son utilisation dans le cadre de la sphère sensible de l’habitant·e.
Afin de comprendre le lien entre l’ « expérience » et le terme « médial », il faut surtout se plonger dans l’origine de ce dernier terme, sa définition en tant que position ou situation dans un contexte, qu’il soit linguistique, anatomique, ou qu’il ait des relations avec des termes culturels empruntés à cette intervalle entre l’individu et son intimité.
En linguistique, le terme médial entre dans le dictionnaire de la langue française dès 1878, pour définir la position centrale de certaines syllabes, s’opposant, comme, par exemple, dans l’alphabet arabe, aux termes initial et final. Cette position médiale vient aussi définir, dès 1935, les consonnes placées entre deux voyelles, aujourd’hui nommé « consonne intervocalique ».
C’est alors par extension que le terme médial prendra avec le temps la posture que nous souhaitons définir au travers de sa définition sociologique.
Mais auparavant, il faut comprendre que la notion n’est utilisée que récemment dans le sens de notre étude, et que jusque-là, elle définit un espace, une médiation, une représentation d’une entité enserrée entre deux autres.
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Les définitions s’éloignent avec le temps du contexte étymologique et syntaxique pour accorder à cette notion de position de nouveaux domaines d’études. L’utilisation du terme médial est souvent utile pour définir la position des membres ou parties de membres dans les domaines scientifique et médical. Par exemple, lors du développement de l’embryon, on observe la médialité du processus de modulation de ses organes, comme celle de son appareil génital, ou gonade.
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Aussi, on parle du cortex médial pour la zone du cerveau où se situe la production des réponses physiologiques et comportementales, adaptées au stimulus. Celui-ci se retrouve sur la partie haute du cerveau, et reste encerclé par d’autres cortex, ceux préfrontal, cingulaire, hippocampe, et bien d’autres.
Par extension à la définition du cortex médial et de son action sur nos comportements, la notion médiale peut aussi être l’interaction entre le langage et l’interprétation, cet espace emprunté aux dialecte chinois et vietnamien par leurs symboles secondaire renseignant l’émotion et les tonalités de la séquence syllabique.
Cependant, il faut attendre la liaison entre expérience et le terme médial pour amorcer la définition de l’espace personnel et intime de l’Homme.
En effet, Annabelle Morel-Brochet, dans La Fabrique des modes d’habiter. Homme, lieux et milieux de vie (2012 :72) va introduire sa réflexion sur le lien de ces deux termes, en comparaison avec celui d’environnement bien plus pauvre et répétitif dans les discours actuel et qui ne discerne pas les différentes spécificités de la définition du milieu propre à l’habitant·e.
L’utilisation du mot médial ou expérience médiale plutôt que environnementale y est alors décrite comme un vocabulaire plus riche, ciblé sur l’être et non comme une « entité extérieure à l’Homme ».
À partir de cette notion et de ses synonymes comme « trajection », « mésologie » ou même « médiance », on ressent alors l’imprégnation de l’environnement sur l’Homme tout comme la définition complexe de l’espace qui délimite celui-ci et son milieu.
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Ce laps de temps, cette distance, ne s’exprime pas souvent comme un objet d’étude tant sa représentation est personnelle et immatérielle. De par sa nature, nous le représentons alors comme la délimitation invisible de la sphère de l’Homme.
Ainsi, pour un même contexte, comme celui urbain utilisé par Annabelle Morel-Brochet, un individu pourra ressentir une proximité avec son milieu en comprenant la complexité de celui-ci, sa construction, ses temporalités (comme les anciens quartiers de travailleurs), alors qu’un autre restera hermétique aux propositions que lui offre celui-ci, avec un sensation de rejet par exemple.
C’est alors par nos ressentis, c’est-à-dire la part de nous-même qui est dans les choses, que nous prenons pleinement connaissance de notre expérience médiale au sens défini auparavant. Alors seulement, notre sphère devient une protection, avec un sentiment d’appartenance et de personnalisation de notre milieu, voir de familiarité. Mais si cette sphère est incomprise, nous la dissimulons: c’est alors à partir de l’incompatibilité de notre expérience médiale et de notre milieu que naît l’inclination puis l’aliénation.
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Augustin Berque dira, dans Ecoumène et Médiance qu’il faut « reconnaître la part de nous-mêmes et de nos semblables qui est dans les choses » (Berque, cité par Chollet, 2000). En ce sens, il est repris par Annabelle Morel-Brochet (2012) qui définit l’expérience médiale en partie dépendante de celles d’autrui, notamment les individus connexes aux différents milieux que nous empruntons.
Dans la compréhension immédiate et symbolique, lorsque l’on replace l’habitant·e seul·e dans son milieu, les phénomènes d’habituation et d’inclination à celui-ci permettent de distinguer les liens corporels et spirituels qu’il induit.
Mais ajouter à un tiers, le processus de médiation créé une nouvelle répartition, de nouveaux emboîtements, de nouvelles connexions.
Ainsi naît la pensée intermédiale, des configurations sociales qui permettent d’étendre la sphère de chacun de manière mutuelle.
Cet appareillage joue alors des différentes possibilités d’interactions entre habitant·e·s, de moments collectifs voulus ou programmés, d’obligations institutionnelles ou de partage de l’imaginaire collectif.
L’expérience médiale est alors agrandie. Celle-ci permet de puiser les relations identitaires de l’habitant·e dans son milieu et d’augmenter la sensation d’inclusivité à titre individuel.
Le terme “Médial” utilisé par Annabelle Morel-Brochet (2012) n’est pas ici donné dans son utilisation habituelle. Ce terme détermine plus généralement une position ou un intervalle, à différentes échelles, physiques ou mentales. Marion Froger dit d’ailleurs que les relations dites « intermédiaires » permettent alors la mise en relation d’un Tiers inclus, c’est à dire qu’en allant plus loin, la compréhension de la médialité dans sa définition d’Annabelle Morel-Brochet, vient permettre la connexion de ses intervalles et donc des habitant·e·s.
Quand elle l’utilise en liant environnement et Humanité, elle s’approprie alors ce terme pour lui donner un nouveau sens. De ce fait, elle lie expérience à ce terme pour inclure l’individu à sa définition d’intervalle.
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BIBLIOGRAPHIE
BETHEMONT Jacques, Compte-rendu : Berque Augustin, Médiance, de milieux en paysages, Montpellier, GIP Rectus, 1990, Revue de Géographie de Lyon, vol. 65, nº 4, 1990, p.226. URL : https://www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1990_num_65_4_5750
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CHOLLET Mona, Ecoumène et Médiance d’Augustin Berque, Penser par monts et par vaux, Périphéries, Feuilles de route, juin 2001. URL : http://www.peripheries.net/article184.html
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FROGER Marion, Introduction. Socialité et médialité : inclure du tiers, Revue Intermédialité/intermediality, nº 21, printemps 2013.
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MOREL-BROCHET Annabelle. La saveur des lieux. Les choix de l’habitant, son histoire, sa mémoire, In: Annabelle Morel-Brochet, Nathalie Ortar (sous la dir. de) La fabrique des modes d’habiter; Hommes, lieux et milieux de vie, Paris: L’Harmattan, 2012, ch.3, p. 69-90.
Dictionnaires consultés en ligne:
Dictionnaire CNRTL
Dictionnaire Larousse
Encyclopédie Universalis
Dictionnaire de l’Académie Française