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HABITUS

Par BEN ALAYA Mohamed, EL MEKSI Yasmine, ZADDAM Mariem

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Au départ, nous avons fait le postulat que les croyances de chacun participent de près à la variété des modes d’habiter, vue qu’elles émanent d’un besoin qui ancre profondément l’individu et son fonctionnement vis-à-vis de lui-même et de la société comme au regard de l’espace. Au fur et à mesure de nos approfondissements dans l’étymologie de la notion et son acception dans différents domaines, nous avons trouvé qu’en sociologie la croyance est l’une des composantes d’un concept plus vaste, celui d’habitus, notion qui a été popularisé, en France, par le sociologue Pierre Bourdieu.

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Nos manières de parler, nos goûts, nos opinions, nous rendent uniques en tant qu'êtres humains, voire plus, en tant qu'êtres sociaux. Toutes ces données sont acquises durant notre socialisation et leur ensemble forme ce que Pierre Bourdieu appelle l’habitus, terme issu du participe passé du verbe latin habere qui veut dire avoir ou tenir. Pour le sociologue allemand Norbert Elias, l’habitus est un « savoir social incorporé » qui s'établit graduellement dans l'être social et qui façonne d’autant plus son identité individuelle que collective, telle une « seconde nature ». Tout ce que l’Homme vit le fait se transformer et l’amène à adopter un style de vie particulier. 

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C’est sur la base des expériences vécues, et de ce qui se trouve dans l’espace social dans lequel il vit, que l'être humain devient prédisposé à certaines situations et acquiert des propensions le poussant à agir, penser et ressentir d’une façon particulière. L’élaboration de l’habitus commence dès l’enfance et se renforce à l’adolescence, lors de phases de socialisations primaires que sont la famille et l’école qui constituent globalement les premières sphères dans lesquelles tout être humain grandit. Le langage, aussi bien parlé que corporel, représente l’un de ces premiers chantiers de fabrication de l’habitus. Par exemple, l'enfant va apprendre à dire « merci » et va aussi apprendre comment le dire par la gestuelle. Il va s’initier à exprimer ses envies et ses besoins, comme ce qu’il veut manger mais aussi le sourire ou la grimace. Toutes ces actions, que l’on peut qualifier de pratiques vu qu’elles sont définies par des règles (sociales, culturelles, religieuses, etc.) vont le construire.


Ce processus se poursuit à l’âge adulte avec la socialisation secondaire, où l’Homme est encore influencé par son entourage mais aussi par les activités qu’il entreprend volontairement ou non. 

De ce fait, des individus qui sont placés dans des conditions similaires ont sensiblement la même vision d’une situation particulière, la même notion de ce qu’on a le droit de faire ou non, voire les mêmes loisirs, façons de s’habiller ou de se comporter : ils auront ainsi des habitus relativement proches quand ils auront suivi des étapes de socialisation semblables.

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Cependant, appartenir à un même groupe social ou avoir des habitus semblables n’implique pas forcément une même réaction à de nouvelles expériences sociales ou à des contraintes inhabituelles. L’habitus ne déclenche pas automatiquement des conduites identiques mais plutôt des tendances à certaines conduites. Il en arrive même que certains habitus pourraient en entraîner d’autres. Dans ce sens, Bourdieu les définit comme des « structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes » (Bourdieu, 1979 :191) les « structurées » étant l’aboutissement des constructions sociales, des expériences passées, et les « structurantes » impliquant que l’habitus n’est pas uniquement une conséquence, mais peut aussi devenir une cause. Ceci se produit notamment dans des situations complètement nouvelles et qui n’ont jamais fait partie de ladite construction sociale génératrice de l’habitus. Par contre, tout ce qui sera fait à partir de ce moment de confrontation va majoritairement découler des expériences passées, en y reprenant par exemples des codes sociaux, mais l’apport sera de les réadapter à ce nouveau contexte, aux nouvelles contraintes. 

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D’autre part, l’individu garde la structure de l’habitus qu’il a acquise tout au long de sa vie et Bourdieu l’exprime dans ce qu’il appelle « l’hystérésis de l’habitus » (Bourdieu, 2002 : 207). Pour illustrer cette notion, il utilise l’exemple de Don Quichotte (héros de Cervantès) qui a le mode de pensée, le comportement, le langage, l’attitude d’un chevalier, sauf que dans le monde où il se trouve il n’existe plus de chevaliers, et qu’il se trouve donc inadapté à ce monde. Cependant, son habitus étant si fort qu’il n’arrive pas à se résigner ; ce qui le conduit ainsi à s’attaquer aux moulins qu’il prend pour de grands tyrans. Un autre exemple est abordé dans son essai Le Bal des Célibataires qui décrit le modèle matrimonial des paysans de Béarn. Ceux-ci étaient prédisposés à agir selon les normes de la première moitié du XXème siècle, notamment dans la manière de se comporter avec les filles et de les aborder mais aussi dans leur conception du mariage et de l’amour. Cependant, leur approche est devenue obsolète avec le délitement de la société paysanne dans la seconde moitié du XXème siècle, période où la plupart des filles avaient quitté la campagne pour rejoindre la ville moderne pour continuer leurs ñetudes ou pour travailler. L’hystérésis de l’habitus de certains paysans, parfois bien situés sur la hiérarchie sociale paysanne, est cette inadaptation de ces dispositions paysannes initiales à ce nouvel espace social, espace où la femme est plus « civilisée », dans lequel ils sont «malgré eux» situés. Cette inadaptation est un élément explicatif du célibat important desdits paysans.

Et globalement c’est pour cela que l'évolution des mœurs se trouve parfois difficile, parce que certains habitus continuent de perdurer à une époque où ils perdent de leur sens, et se trouvent dans une confrontation avec un nouveau contexte social et à une réalité commune.

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Enfin, l’habitus définit la position de l’individu par rapport aux autres, par rapport à l’espace social. Dans ce sens, Bourdieu évoque une relation entre habitus et capital, le capital étant les possessions aussi bien économiques que sociales et symboliques, par exemple, les réseaux de relations ou les diplômes. Ces capitaux, qui sont loin d’être le fruit du hasard, font que les individus qui appartiennent à une classe dominante en sont plus richement dotés que s’ils appartenaient à des classes populaires.

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Pour conclure, l’habitus trouve son origine dans le social dans la mesure où il est partagé par un groupe social bien défini. Son origine doit ainsi être recherchée dans les particularités de l’histoire collective. A chaque groupe social correspond un contexte de vie et de socialisation qui sont plus ou moins spécifiques et qui engendrent des habitus distincts se manifestant sous différentes formes, notamment dans les habits, les comportements, les manières de vivre, le soin accordé au logement, etc.

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Bibliographie

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BOURDIEU Pierre, Le bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Paris : Le Seuil, 2002.

 

BOURDIEU Pierre, Le Sens pratique, Paris : Editions de Minuit, 1980.

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BOURDIEU Pierre, La distinction: critique sociale du jugement, Paris : Editions de Minuit, 1979.

 

SARTER Gilles, « L’habitus : au couer de la sociologie de Bourdieu », URL :  https://secession.fr/habitus-sociologie-bourdieu#:~:text=L'habitus%2C%20%C3%A0%20la%20diff%C3%A9rence,le%20sens%20de%20l'honneur , consulté le 13 janvier 2021. 

« Termes clés de la sociologie de Norbert Elias », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 106, 2010-2, p. 29-36. DOI : 10.3917/vin.106.0029. URL : https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2010-2-page-29.htm

 

WACQUANT Loïc , « Brève généalogie et anatomie de l’habitus », Revue de l’Institut de Sociologie [En ligne], 86 | 2016, mis en ligne le 23 juillet 2019, consulté le 13 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ris/377

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