NOMMER LES ÊTRES, NOMMER LES LIEUX
STRATE
Par MENAA, Heni & ZIADI, Amani.
D’après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, le mot « strate » apparu en 1805, vient du mot latin « stratum » qui désigne une « couverture de lit, couverture ; couche, lit, natte, matelas », au pluriel « strata » « pavage, pavé », dérivé de « sterno » qui veut dire« étendre, étaler ».
Ce terme est présent dans plusieurs disciplines s’intéressant au thème de la nature :
En géologie, les strates représentent chacune des couches d'épaisseur variable d'un terrain, en particulier sédimentaire, qu'on peut distinguer par des caractères spécifiques, des couches qui la précèdent ou lui succèdent. Ou encore en archéologie, ce mot désigne une couche contenant les débris d'une même période d'occupation.
Par contre, en botanique, le mot strate qualifie l’ensemble des végétaux dont le maximum de densité du feuillage se situe à une même hauteur au-dessus du sol. Strate arborée, arbustive, strates synusiales dans la forêt à érable rouge, en Amérique du Nord, une strate arborescente, deux strates frutescentes, une strate herbacée, etc.
Ce mot trouve aussi sa place dans le monde scientifique, en biologie, par exemple, la strate est une couche de cellules, de molécules. En microscopie électronique, la membrane plasmique montre une structure trilamellaire. Elle apparaît, en effet, formée de trois strates ou plus exactement de deux feuillets denses séparés par un espace clair.
Les sens du terme « strate », traité selon les sciences exactes ci-dessus, oscillent autour d’un objet matériel visible. Ce terme n’a pas seulement une connotation matérielle mais il peut aussi définir des phénomènes immatériels dans les sciences humaines et sociales.
En sociologie, la strate peut désigner une catégorie sociale déterminée par la place qu'elle occupe dans la hiérarchie d'une société, en fonction de différents critères comme la richesse, le prestige, la culture, le pouvoir. Le sociologue américain, William Lloyd Warner (1968) et son école ont tenté de décrire les classes sociales comme des « strates » de prestige. Mais le prestige dépend du revenu, de la dépense, de l'emploi, de la profession, du logement, bref d'un ensemble de déterminations qui symbolisent la position du sujet dans le processus productif.
Dans les méthodes de sondage, la strate est considérée comme un élément d'un échantillon, sous-ensemble ou « sous-population » d'un groupe étudié, homogène, c'est-à-dire regroupant tous les individus d'une population ayant des caractéristiques communes ( ibidem).
Selon l’article « classe sociale ou strate sociale ? un débat de crise » (Josset, 2009), la strate, dans un sens large, désigne le fait que toute société se construit en produisant un système de différenciation, de hiérarchisation des positions sociales. La structure sociale repose ainsi sur des groupes sociaux qui se définissent par l'inégal accès aux ressources. Il existe des sociétés de castes, d'ordres, de classes sociales, etc.
La notion de strate est réservée aux analyses qui s'opposent principalement à la théorie marxiste de la structure sociale. Une société organisée en strates sociales est hiérarchisée à partir de critères multiples (revenus, statut professionnel, pouvoir, prestige) mais qui ne s'opposent pas de manière irréductible, comme les classes sociales, dans une logique de domination et d’exploitation. Parler en terme de strate n’évoque pas l’existence d'une hiérarchie sociale immuable, mais met en lumière les possibilités réelles données aux individus de changer de position sociale, de connaître en particulier une ascension sociale, bref de reconnaître si une structure sociale est figée ou non. Cela renvoie aux enjeux et aux déterminants de la mobilité sociale (Dussuchale, 2016).
Les individus n’appartiendraient pas à des classes en quelque sorte coupées les unes des autres et entretenant des rapports conflictuels, mais se situeraient sur un continuum où l’on passe par degrés vers le plus ou vers le moins. Ce qui est en jeu, c’est la distance fluctuante entre strates. Parler en terme de strate implique la possibilité de la mobilité sociale d’une génération à l’autre (intergénérationnelle) et au sein d’une même génération (intra-générationnelle).
Le terme strate est utilisé en outre dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme. La ville peut témoigner d’un phénomène de stratification. Elle est à l’image d’un palimpseste (1) urbain désignant une stratification à la fois temporelle et spatiale, mais aussi sociale (Mongin, 2005). Elle est le fruit d’une dialectique entre permanence et substitution ou encore entre sédimentation et modernité (Masboungi, 2001). En tant que palimpseste urbain, la ville traduit la résistance de l’habiter face à l’acte de projeter et de construire. Cette permanence est celle de la mémoire, de la sédimentation ancienne de la ville, alors que la substitution concerne le changement et le renouvellement de la ville. Ces deux logiques doivent être présentes dans la pensée de la ville au risque d’aboutir à des impasses si un seul principe est considéré : par exemple, la seule substitution amène à une logique de table rase qui élimine la possibilité d’une logique de préservation de la valeur historique du tissu urbain.
(1) Manuscrit sur parchemin d'auteurs anciens que les copistes du Moyen Âge ont effacé pour le recouvrir d'un second texte.
Notre image initiale suggère la relation entre le concept matériel des strates et la projection de ce dernier dans les sciences humaines et sociales, où l’Homme devient acteur de la stratification.
BIBLIOGRAPHIE
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, disponible sur https://www.cnrtl.fr/definition/strate , consulté le 22/12/2019.
DUSSUCHALLE Frédéric, « Stratification sociale », Web class, 2016, disponible sur http://ses.webclass.fr/notion/stratificationsociale?fbclid=IwAR00iSMf0zAxuBOlkEfx_2xYafHL1MQrR5ynX3ec0BFnJVZffH0lWtrb—U , consulté le 20/12/2019.
JOSSET Julien, Classe sociale ou strate sociale ? Un débat de crise, La-Philo, 2009, disponible sur https://la-philosophie.com/classe-sociale-strate-sociale-sociologie , consulté le 21/12/2019.
MASBOUNGI Ariella, « Du bon usage de la chronotopie », In : Paquot, Thierry (dir.), Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes, Paris, la Découverte/Institut des villes, 2001, p.167 – 179.
MONGIN Olivier, La condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Seuil, 2005.