NOMMER LES ÊTRES, NOMMER LES LIEUX
ISOLEMENT SOCIAL
Par LACROIX, Roxane
L’isolement social :
1ère cause de suicide chez les hommes
3ème cause de suicide chez les femmes
12.1 millions de Français touchés par la crise du logement
2.1 millions de Français vivant dans un logement précaire
934 000 appartements trop petits et/ou surpeuplés
Ces trois dernières données sont les conséquences du mal-logement en France.
Le mal-logement, associé à l’habitat insalubre et aux conditions de vie précaires de certaines personnes entraînent de nombreuses difficultés jusqu’à, parfois, une exclusion dans la société. Ce phénomène se qualifie d’isolement social et induit un abandon progressif d’interactions sociales pouvant aller jusqu’à la morbidité voire la mortalité.
Face à l’aggravation de l’habitat indigne la Fondation Abbé Pierre lance, en 2007, le programme SOS Taudis accompagnant plusieurs ménages, les aidant financièrement aux travaux de sortie d’insalubrité et/ou de lutte contre la précarité. En France « entre 400 000 et 600 000 logements sont considérés comme des taudis » (Fondation Abbé Pierre, 2017, p7). Pour la Fondation Abbé Pierre, habiter un taudis représente bien plus que résider dans un logement répondant à des critères, à des normes d’insalubrité. Au-delà de cela c’est aussi vivre dans des conditions précaires, indignes par la structure, les équipements ou l’entretien. Les personnes concernées ne peuvent généralement pas en sortir, elles restent dans leur logement par obligation, à cause de problèmes de succession, par attachement…
Dans une volonté de compréhension mais aussi de lutte contre le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre réalise, en 2010, une enquête montrant que sur 500 ménages, 75% font face à de lourdes difficultés sociales ou sanitaires comme la précarité, les problèmes de santé physique ou mentale, une fragilité psychologique ou encore un problème d’occupation du logement. Cela va se solder bien souvent par une accumulation de difficultés pouvant aller, dans certains cas, jusqu’à l’isolement. Les années défilent et l’accès au logement est loin d’être une question résolue. Elle peut engendrer, paradoxalement, une déchéance des conditions de vie amenant à la question du non-logement. Il est notable que lorsqu’une personne n’a plus aucune ressource et se dit abandonnée, se sent abandonnée, par les pouvoirs publics et autres associations, cela peut avoir de réelles répercussions sur sa santé physique ou mentale, sur sa scolarité ou son parcours professionnel mais aussi, sur le long terme, sur son inclusion/exclusion dans la société. En effet, bien souvent, les habitants de logements insalubres cumulent les peines et complications, ils peuvent devenir des personnes fragiles. L’habitat est censé leur apporter protection, intimité et identité. L’absence de cela, dans ces situations précaires, conduit à une certaine souffrance sociale. Les ménages ne peuvent alors pas s’approprier leur propre logement, ils ne peuvent se créer une identité. Cela peut déboucher sur une forme de déchéance humaine leur procurant honte, peur et désagrégeant peu à peu tout lien extérieur. Certaines personnes peuvent aller jusqu’à ne plus accepter de recevoir leur propre famille, leurs amis. Dans cette lignée, quelques individus ne sollicitent volontairement pas l'aide de tiers pour se sortir de cette crise du mal-logement. Par fierté, par éducation ou encore par timidité, ils peuvent ainsi vite se retrouver dans un schéma d’exclusion suite à de gros désordres d’insalubrité dans leur logement. Souvent par leur envie de réussir par eux-mêmes ou par peur de demander de l’assistance, les ménages tentent tant bien que mal de trouver des solutions, parfois inadaptées à leurs conditions de vie précaires. Ils peuvent, consciemment ou non, se mettre en retrait jusqu’à couper peu à peu toute forme de relation sociale.
L’habitat indigne, défini par la loi de 1990, comme impropre à l’usage ou risqué pour la santé physique ou mentale, peut donc se présenter comme une des causes de l’isolement social. Des mauvaises conditions d’habiter et de vivre découlent une forme de dégradation sociale, une pudeur contrainte conduisant dans certains cas à cet isolement social. Comment alors un logement indécent, malsain, peut-il avoir un effet néfaste sur la santé de ses occupants jusqu’à une précarisation voire une exclusion des ménages ?
Comme vu précédemment, des liens étroits existent entre le mal-logement et l’exclusion sociale. Il en est de même entre cette exclusion et la santé des habitants. En effet quand le mal-logement est une des grandes causes de l’exclusion sociale, ce dernier a des conséquences sur la santé des occupants. Se retrouver seul, coupé de toute aide extérieure mais aussi de toute vie sociale qualitative, influe sur l’équilibre de tout être. Se retrouver seul, isolé de toute interaction sociale, peut, dans certains cas, conduire à la mort mais aussi à d’autres formes de maladie comme l’incurie, entraînant une négligence de soi-même ou encore le « Syndrome de Diogène », un trouble du comportement menant à l’accumulation d’objets et un manque considérable d’hygiène sans pouvoir en parler à qui que ce soit. Se retrouver seul peut ainsi conduire à un laisser-aller et donc aboutir à des désordres psychiques, à des formes de délires. L’inverse fonctionne aussi: une personne dont l’isolement est dû à d’autres facteurs (décès, événement…) peut initier des troubles comportementaux et se confronter à un abandon progressif d’entretien de son logement pouvant conduire à l’indécence voire l’indignité de l’habitat, sur un plus long terme. Une correspondance existe donc dans les deux sens.
La personne écartée du reste du monde ne sort pas ou alors non sans quelques appréhensions, vit sans électricité, parfois sans eau, n’ose appeler son propriétaire au vu des dégradations croissantes du logement. L’isolement social est un véritable repli sur soi-même un cercle vicieux où plus le logement se dégrade, plus les conditions de vie deviennent précaires, plus l’on s’isole, et plus l’isolement est intense plus le logement va se dégrader de façon grandissante. L’isolement peut alors entraîner de nombreuses carences au niveau hygiénique, psychique etc… L’habitant peut même oublier de se nourrir, il ne sort plus, il va peu à peu se priver de ressources. Cette solitude peut donc faire naître une totale perte d’identité, d’appropriation de son logement ou encore du sentiment d’égalité dans la société. La personne isolée va se sentir complètement exclue, rejetée de la société en pensant que c’est peut-être ce qu’elle mérite, au vu de son passé, de son histoire, de ses difficultés.
Aujourd’hui entre 10 et 15% de la population française est impliquée dans ce phénomène de solitude. Qu’elle soit voulue, une vie en marge de la société, ou subie, peu de relations sociales, malaise dans la société, suite à une vie précaire par exemple, la solitude impacte grandement sur la qualité de vie autant individuelle, sociale que professionnelle. La solitude voulue, choisie, est le résultat d’une certaine modernité tendant toujours à une individualisation de la société. Elle peut être perçue comme une aide, peut permettre de mieux atteindre ses objectifs, de se concentrer sur une carrière, de s’affirmer. Mais, parallèlement à cela, de nombreuses personnes connaissent une solitude « imposée » par leur histoire, par les difficultés rencontrées durant leur parcours de vie, et, bien sûr, par des conditions d’habitats indignes et précaires. Ces dernières amènent les occupants de logements indécents et/ou insalubres à se replier sur eux-mêmes et à voir leurs relations sociales se désagréger au fil du temps, pouvant alors conduire à de graves problèmes de santé voire, parfois, au suicide. Les personnes les plus susceptibles d’être touchées par cette solitude sont les chômeurs, les inactifs et les bas revenus, mais aussi les personnes âgées et les personnes en perte d’autonomie. Alors, la décomposition de tout lien social engendre un sentiment d’insécurité et de méfiance vis-à-vis des autres, vis-à-vis de la société voire même vis-vis du personnel de santé. Elle peut ainsi conduire à une sorte de spirale infernale dont il est difficile de s’extirper sans véritable aide extérieure.
Pour l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), se retrouver en situation d’isolement social, relationnel, signifie qu’il n’y a d'interactions hebdomadaires qu’avec quatre personnes, hors celles du ménage.
Le Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie (CREDOC) continue sur cette hypothèse en classifiant ces interactions en cinq réseaux de sociabilité : familial, professionnel, amical, affinitaire et enfin de voisinage. Selon le CREDOC, actuellement le voisinage est le premier facteur de sociabilisation, devant le facteur amical, puis viennent les liens familiaux et enfin le travail car devant les exigences toujours plus fortes et les sensations de rivalités entre collègues, il est de plus en plus difficile de nouer des liens avec ses confrères.
Permettre aux ménages d’améliorer leurs conditions de vie et de résidence, leur relation avec autrui, passe peut-être par la prise en compte de l’habitat et sa possible réhabilitation. Permettre aux habitants de vivre dans des logements plus dignes peut certainement apaiser certaines souffrances physiques et mentales pour, au final, réduire le plus possible tout type d’exclusion sociale. Et, inversement, lutter contre l’isolement social revient à lutter contre la venue de graves troubles physiques et mentaux pouvant aller jusqu’à la négligence de ses propres conditions de vie et d’habiter.
De nombreuses associations essayent de venir en aide aux personnes. C’est le cas de Julienne Javel ou bien sûr de la Fondation Abbé Pierre, essayant au maximum de contrer le mal-logement voire le non-logement, pour éviter toute forme d’isolement social. Leurs actions se placent principalement à l’encontre de l’habitat indigne et des conditions de vie précaire et donc de tout ce qui peut en découler. Il faut alors voir le logement comme un vecteur de meilleures conditions de vie. Combattre le mal-logement est une réponse principale, parmi d’autres, pour redonner une vie sociale aux habitants, pour qu’ils retrouvent des interactions sous plusieurs formes, qu’ils n’aient plus honte ou peur de parler, de se confier, de demander de l’aide mais aussi de recevoir, d’inviter et donc de garder des liens forts avec l’extérieur.
BIBLIOGRAPHIE
Rapports:
. DREES-DARES, Santé mentale, expérience du travail, du chômage et de la précarité, 2019 [Actes séminaire recherche 2018]
.Fondation Abbé Pierre, L’état du mal logement en France, 20ème rapport annuel, 2015
. Fondation Abbé Pierre, L’état du mal logement en France, 23ème rapport annuel, 2018
. Fondation Abbé Pierre, L’état du mal logement en France, 24ème rapport annuel, 2019
. Fondation Abbé Pierre, L’accompagnement des personnes en situations d’habitat indigne, Les cahiers du logement 2013
. Fondation de France, Les solitudes en France, 2016
Sites Web consultés entre les mois de mai et juin 2019:
. https://www.lespetitespierres.org/faq/definition-du-mal-logement
. https://www.julienne-javel.org/
. https://www.syndrome-diogene.fr
. https://www.inc-conso.fr/sites/default/file.s/conseils/1525-loi_logement_1_458.pdf
. https://www.inegalites.fr