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Habitant·e acteur/actrice

Par PHENIX Jade
 

La figure de l’habitant·e-acteur/actrice apparaît comme un nouvel objectif de l’action publique. A priori, cette figure a du mal à émerger et à se faire entendre dans les processus de transformation urbaine. Cependant, des initiatives existantes d’action directe s’avèrent inspirantes pour imaginer des formes d’engagement habitant à plus grande échelle.

 

Federicca Gatta (2017) démontre les difficultés des habitant·e·s à être acteurs et actrices des transformations urbaines et les impasses que les institutions ou les associations rencontrent. Des associations tentent de tisser des liens entre les habitant·e·s et les institutions, cependant elles dépendent de ces dernières et de ce fait ne peuvent incarner un contre-pouvoir. Seul·e·s les habitant·e·s semblent en mesure de s’opposer, de prendre en charge et de faire valoir leurs droits. Ils et elles apparaissent comme une catégorie insaisissable, et sont définis en opposition avec les associations. Ce sont les indigènes face aux étrangers ou les sédentaires face aux nomades. Les associations renoncent à la construction d’une identité collective cohérente. La participation des habitant·e·s dans les processus participatifs devient une dépossession de leur engagement. Finalement, ces différents processus de construction de la figure de l’habitant·e-sujet empêchent l’émergence de celle d’habitant·e-acteur/actrice. Les conclusions de Federicca Gatta rejoignent celles de Maryse Bresson (2004) qui dans « La participation des habitants contre la démocratie participative dans les centres sociaux associatifs du nord de la France » démontre que l’institutionnalisation des centres sociaux génère une distance entre animateurs professionnels de la participation et les autres habitant·e·s. L’injonction à la participation n’établit qu’un lien minimal avec des populations exclues au lieu d’intégrer aux processus décisionnels des citoyens et citoyennes éclairé·e·s.

La participation des habitant·e·s n’est pas systématiquement associée à un fonctionnement de démocratie participative. Ainsi, la pleine participation des habitant·e·s se heurte aux contraintes modernes de l’action associative institutionnalisée.

 

La figure de l’habitant·e-acteur/actrice induit une gouvernance participative ou directe dans un système de démocratie représentative, cette contradiction est peut-être la principale raison de la difficulté, voire de l’impossibilité, de son émergence. L’exemple le plus étudié de démocratie directe est celle d’Athènes du Ve au IVe siècle avant Jésus-Christ. Dans son article  La Citoyenneté , Vincent De Coorebyter commence son étude par l’analyse des différentes formes de démocratie pour rappeler le fonctionnement de la cité athénienne.

La participation des citoyens aux décisions s’organisait autour de l’Ekklesia ou l’Assemblée, la Roulè ou le Conseil et les nomothètes. L’Assemblée est composée de tous les citoyens (uniquement des hommes libres, à cette époque). Ils se réunissaient sur l‘Agora et proposaient et votaient des lois à main levée après débat. Le Conseil constitué de 500 citoyens volontaires, tirés au sort et rémunérés, préparaient et exécutaient les décisions prises par l’Assemblée. Après des épisodes oligarchiques, un comité de nomothètes a été introduit. Il est composé d’au moins 500 citoyens, membres des tribunaux volontaires et tirés au sort. Il modulait le pouvoir de l’Assemblée qui conservait un pouvoir d’initiative mais le pouvoir décisionnel lui revenait. La démocratie athénienne était radicalement différente de la démocratie représentative que nous connaissons, cependant plus de la moitié de la population de la cité en était exclu, les femmes, les étrangers, les esclaves et les exclus par décision de justice.

 

Ainsi, afin de prendre part aux transformations urbaines, les habitant·e·s ont comme ultime recours l’action directe, face aux échecs des associations, des squats et des centres sociaux. D’une matérialité différente que celle de l’action publique commune, la guérilla jardinière (en anglais: Green Guerilla) est une forme de désobéissance et de réappropriation des espaces publics par le jardinage. Dans Un manifeste de guérilla jardinière !, les formes plus anciennes de cette action urbaine sont rappelées. Au XVIIe siècle, des paysans anglais, les Diggers, squattent des terres inoccupées pour y vivre et cultiver. Dans les années soixante, Liz Christie et d’autres militants aménagent des parcs et des jardins partagés sur les terrains vagues de New-York. Le mouvement de guérilla jardinière se compose d’une multitude d‘actions et progresse à chacune d’elles : « À chaque fois que nous semons une graine, nous réactivons le mouvement, qui participe à une histoire et à un changement global. Les répercussions de nos actions de végétalisation de l’espace public nous échappent souvent ; mais à l’image des guérillas qui participent aux escarmouches en marge de l’armée, nos actions participent incontestablement à la victoire de la nature, des légumes et de la verdure sur le béton froid et lisse de nos villes. » (Chimères nº82, 2014).

La guérilla jardinière s’applique à des interventions à toutes échelles, du pied d’arbre à un territoire. Par exemple, les rues du Panier à Marseille, garnies de plantations en pot par ses habitant·e·s ou par des collectifs sont une forme d’action directe sans en demander l’autorisation à la mairie au préalable. D’une plus grande envergure, le parc Navarinou dans le quartier d’Exarchia à Athènes, existe grâce au groupe d’habitant·e·s du quartier qui se sont opposés à l’utilisation d’un terrain appartenant à la mairie en tant que parking. Une nuit, ils y ont enlevé le goudron et y ont planté des arbres, ensuite ils se sont relayés pour occuper et protéger le parc. Puis ils y ont construit une place commune, un amphithéâtre, des allées, des chemins, un potager et des jeux d’enfants. Une communauté d’habitant·e·s a transformé un parking en un parc autogéré. Ce parc a par la suite été reconnu par la mairie. A plus grande échelle encore les ZAD, zones d’aménagement différé détournées en zones à défendre, sont des terrains sur lesquels l’état prévoit la construction d’infrastructures, de logements… La plus connue en France est celle de Notre-Dame-des-Landes s’opposant à la construction d’un nouvel aéroport dans une zone humide protégée en Loire-Atlantique. Quelques agriculteurs et des militants se sont mobilisés et y ont créé des lieux d’expérimentation et de vie en communauté en semi-gratuité auto-construits et autogérés. Cette mobilisation, amorcée en 2008, par un appel à occupation a transformé les opposants à l’aéroport en habitant·e·s constructeurs/constructrices, acteurs/acrtrices et défenseurs de leur environnement. Depuis 2018, le projet d’aéroport a été abandonné, 200 habitants y vivent toujours en y développant des projets agricoles ou d’artisanat.

 

Cette forme d’action (s’apparentant à celle décrite dans appropriation murale bien qu’à une autre échelle) est particulièrement inspirante dans sa manière de rendre les habitant·e·s acteurs et actrices de leur environnement. Les combattant·e·s jardiniers et jardinières sont indépendants, leurs actions plurielles et ubiquitaires se répandent aisément et génèrent un nouveau lien avec leur voisinage. C’est par leur engagement individuel et collectif, et l’action directe, puisque les processus de participation équivalent souvent à une dépossession de leur engagement que les habitant·e·s ont le pouvoir de devenir acteurs et actrices de leur lieu de vie et d’exercer leur art de l’habiter.

 

 

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BIBLIOGRAPHIE

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BACQUÉ Marie-Hélène, REY Henri, SINTOMER Yves, « Introduction. La démocratie participative, un nouveau paradigme de l'action publique ? », dans : Marie-Hélène Bacqué (éd.), Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative. Paris, La Découverte, « Recherches », 2005, p. 9-46. URL : https://www.cairn.info/--9782707143068-page-9.htm  

 

BRESSON Maryse, « La participation des habitants contre la démocratie participative dans les centres sociaux associatifs du nord de la France », Déviance et Société, 2004/1 (Vol. 28), p. 97-114. URL : https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2004-1-page-97.htm 

 

DE COOREBYTER Vincent, « La citoyenneté », Dossiers du CRISP, 2002/1 (N° 56), p. 9-144. URL : https://www.cairn.info/revue-dossiers-du-crisp-2002-1-page-9.htm

 

GATTA Federicca. « L’habitant dans les transformations urbaines. Figures de l’engagement ou de l’altérité? », In: Jean-Pascal Higelé, Lionel Jacquot (sous la dir de), Figures de l'engagement. Objets - Formes - Trajectoires, Nancy : Presses universitaires de Nancy - Editions Universitaires de Lorraine, 2017, p. 299-315.

 

« Un manifeste de guerilla jardinière ! », Chimères, 2014/1 N°82, p.49 à 52. URL :Un manifeste de Guérilla jardinière ! | Cairn.info

 

REYNOLDS Richard, La guerilla jardinière, Paris : Yves Michel, 2010.

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