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RÉSILIENCE

Par TALKOVA, Anastasia

 

 

        La notion de résilience dans le monde anglo-saxon, initialement vient d'un terme en psychologie qui décrit un phénomène consistant à pouvoir revenir d'un état de stress post traumatique. Pour la première fois ce mot est utilisé par le philosophe anglais Francis Bacon en 1926. Plus tard, il est  réutilisé en 1950, par Emmy Warner, psychologue, pour lui donner la définition suivante: «processus biologique, psychoaffectif, social et culturel qui permet un nouveau développement après un traumatisme psychique.» (Barrette, texte en ligne).

        En revanche dans le monde francophone, le mot résilience est un terme de science mécanique qui signifie la capacité des matériaux à résister aux chocs.  Il apparaît aujourd’hui dans les sciences durs telles que la physique, les sciences de la vie comme la biologie et l'écologie, les sciences humaines telles que la sociologie et la médecine, mais également dans les domaines de l'économie, de l'informatique, de l'aéronautique et même de la politique, de la réflexion stratégique et de la gestion de crise ainsi que dans l'art et dans l'approche territoriale.

        Le facteur précédent la résilience est une crise ou un traumatisme, qu’il soit personnel ou collectif, et qu’il affecte une seule personne, un groupe, une nation entière ou un territoire. La crise a des conséquences majeures et durables qui remettent en question la stabilité de l’organisation touchée par la crise, nécessitant ainsi une prise de décision rapide. Cela signifie donc que les perturbations, les défaillances et les incidents «courants» n’engendrent pas la résilience. Il peut y avoir résilience qu’en cas de traumatisme: c’est-à-dire lorsque les fonctions de la vie quotidienne sont perdues et que le traumatisme est suffisamment grave pour conduire à une rupture des points de référence et des processus normaux de récupération de situations difficiles (Francart,2010).

        La résilience est cette capacité à continuer malgré le traumatisme subi, mais est inséparable du traumatisme lui-même. La résilience est une capacité à se restructurer pour empêcher la crise d'avoir un effet destructeur, voire même la capacité de trouver un moyen de se reconstruire. Selon les spécialistes, la  résilience se développe en deux étapes. La première est à court terme et immédiate, pendant la crise confrontée à l'expérience traumatique, et se caractérise par la mise en place des mécanismes de protection et de défense qui résistent à la désorganisation provoquée par l'invasion de la réalité. Vient ensuite une phase de résilience à plus long terme post-crise dans laquelle le choc traumatique est reconnu et surmonté à l’aide d’un tiers afin de donner un sens à la blessure subie. C’est aussi pourquoi la résilience peut se manifester de deux manières: soit un retour à l’état initial, ce qui permet un nouveau départ dans le même contexte sans difficulté, soit l’établissement d’un état différent qui demande des efforts et l’énergie supplémentaire. Boris Cyrulnik explique que la résilience signifie également être capable de se sortir du passé et de ne pas en être prisonnier. La résilience, dit-il, n'a rien à voir avec ce que certains revendiquent comme une forme d'invulnérabilité ou de qualité supérieure, mais avec la capacité de récupérer une vie humaine malgré la blessure subie sans pour autant devenir obsédé par cette blessure (Cyrulnik, 2015). C'est vraiment la capacité de rebondir, comme dans l'origine du terme résilience. La résilience semble donc un phénomène dynamique et pas simplement une résistance aux chocs.

              Je rajouterai que c'est un phénomène complexe de dynamiques variées. La notion de résilience n'est pas encore appliquée pour décrire les processus dans l'architecture ni dans le domaine du bâtiment. Je pense que cela ne va pas tarder. Aujourd’hui une équipe américaine pluridisciplinaire constituée de chercheurs, d'architectes, de biophysiciens, d'ingénieurs, d'artistes oeuvre pour le mouvement du Biomimétisme. C'est un processus d'innovation  et  d'ingénierie qui s'inspire des formes, matières, propriétés, processus et fonctions du vivant. Ce concept est introduit par Janine M. Benyus, une scientifique américaine. Elle est convaincue que la résilience n'est pas possible sans l'innovation et la créativité, et la Nature nous en donne des exemples précis.

            Dans le monde francophone, la résilience  aujourd’hui est présente dans l’approche territoriale:

« Dans le cadre de leurs travaux sur la résilience territoriale, le Commissariat Général au Développement Durable a piloté plusieurs monographies sur des territoires variés en termes d’échelles et de problématiques d’entrée. Celles-ci ont fait émerger différents types de réponses adoptées par les territoires étudiés, ainsi qu’un certain nombre de facteurs semblant contribuer à augmenter leurs capacités de résilience. Un des enjeux pour les territoires est d’articuler une résilience « cindynique », liée à la survenue d’événements brutaux locaux (accident industriel, inondation, fermeture d’usine), et une résilience «globale» liée à des phénomènes lents et à grande échelle (changement climatique, crise économique mondiale, baisse démographique)» (Villar, David, 2014 ).

            Selon l'article «Des villes Résilientes», réalisé par le Commissariat Général au Développement Durable avec le Centre d'études et d'expertises sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), un territoire résilient est vu comme un territoire en mouvement, capable :

              - d’anticiper des perturbations, brutales ou lentes, grâce à la veille et à la prospective,

              - d’en minimiser les effets

              - de se relever et rebondir grâce à l’apprentissage, l’adaptation et l’innovation

              - d’évoluer vers un nouvel état en équilibre dynamique préservant ses fonctionnalités.

            Comme le précise Clara Villar, directrice d'études en résilience et crise, «les stratégies développées en réponse aux crises qui touchent les territoires sont extrêmement variées: développement de l’égalité numérique, agriculture urbaine communautaire et filières alimentaires locales, patrimoine et culture, art, savoirs-faire locaux et micro-entreprises, « pratiques économiques alternatives », développement de filières, projets éducatifs, actions coopératives, économie de la fonctionnalité... Beaucoup d’exemples montrent que les initiatives sont remontantes, donnent une large part à la population et sont basées sur « l’autosuffisance, l’altruisme, l’échange, la coopération et la démocratie » » (Villar, David, 2014). Cette étude sur la résilience territoriale, urbaine , n'est-elle pas outillée pour les domaines qui touchent aux bâtiments insalubres ?

           La résilience se décrit donc par des processus de revitalisation après un choc. Prenons pour exemple la revitalisation du territoire post-industriel sur l'Île Lido de Venise. Sur ce territoire ce qui nous intéresse c'est le processus de la résilience urbaine, l'appropriation d'un bâtiment abandonné  par la communauté créative. Caserma  Pepe, connu comme «Quartiere Grande» ou «Palazzo dei Soldati», la première caserne construite entièrement en maçonnerie, pour accueillir les défenseurs de la Serenissima. Le site a été abandonné en 1999 après la cessation des activités militaires.En 2014, l’association vénitienne d'architectes urbanistes, Biennale Urbana, a commencé à réactiver le bâtiment pour de courtes périodes avec le projet “Urban Intervention Camp”. Des activités culturelles, balades urbaines, des workshops ont été organisés avec des partenaires locaux et internationaux.

            En 2018, grâce à une convention d’occupation temporaire d’un an accordée par l’Agenzia del Demanio, Biennale Urbana, «Yes We Camp» et «Lieux infinis» – association portée par «Encore Heureux» – conçoivent et construisent ensemble les conditions pour une expérience culturelle unique nommée Esperienza Pepe. Pendant pratique, concret et local des expérimentations exposées au Pavillon français 2018, le projet Esperienza Pepe a été  un acte de recherche-action porté par une volonté collective. Cette collaboration d’acteurs italiens et français a permis de faire connaître la cour magistrale à l’internationale. Et par conséquent, elle est devenue une initiative exemplaire de la résilience urbaine.

 

            «L’un des objectifs de BURB est d’activer les processus de revitalisation ( résilience) urbaine à travers des programmes artistiques, culturels et éducatifs, et d’ouvrir cette magnifique cour à l’interaction entre différentes disciplines, en associant des initiatives locales et internationales» (extrait d'un échange avec André Curtoni, co-fondateur de la Biennale Urbana, pendant la visite commentée à Caserma Pépé, 20 avril 2019).

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Crédit: Anastasia Talkova

                On  peut décrire le processus de la résilience territoriale par les mots: choc, traumatisme, rebondir, revitalisation, ressources, créativité, innovation, communauté, démocratie, coopération.

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Caserma Pepe, processus de revitalisation urbaine. L'île Lido, Venise, avril 2019. 

Crédit photographique: Anastasia Talkova

RÉFÉRENCES

Barrette Marie-Dominique E., La Résilience,Origine du concept, article en ligne: https://docplayer.fr/user/49501215/, consulté en mai 2019.

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Benyus Jeanine M., Biomimétisme : Quand la nature inspire des innovations durables, Paris: Ed. Rue de l'échiquier , 
collection L'écopoche, 2017 [traduit de l'anglais, 1997].

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Caldwell Gary , La résilience, cette capacité de résister aux chocs et de rebondir,Revue Notre Dame (Montréal), nº 9, 2000, pp.16- 24. Disponible sur:  http://classiques.uqac.ca/contemporains/caldwell_gary/entrevue_la_resilience/entrevue_la_resilience_texte.html

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Commissariat Général au développement durable  « Villes résilientes, synthèse bibliographique », Ministère de l'Écologie, du Développement Durable et de l'Énergie, rapport Certu, 2014. Disponible sur: https://www.cerema.fr/system/files/documents/2017/10/actes_Villes_resilientes_Bruay_VF2_cle5bfcc8.pdf

 

Cyrulnik Boris , La résilience dans les situations extrêmes , Conférence 27 mai 2015, Université de Nantes, Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=AM4JSsNIJ3E

 

Francart, Loup What does resilience really mean ? La revue Géopolitique, Février 2010. Disponible sur: https://www.diploweb.com/spip.php?article572, consultée en mai 2019.

 

Villar Clara, David Michel, La Résilience, un outil pour les territoires? It-Go rosko, 2014, disponible sur: https://www.cerema.fr/fr/actualites/resilience-outil-territoires

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