NOMMER LES ÊTRES, NOMMER LES LIEUX
IMAGINAIRE
Par DUPIN, Terry
Dupin Terry ©
L’imaginaire, du latin imaginarius (« image »). C’est une capacité que tous les êtres humains ont en commun, mais c’est aussi cette même capacité qui nous différencie les uns des autres, et rend chaque être unique. Elle se situe dans la partie hippocampe de notre cerveau, et nous différencie également de l’ensemble du reste des êtres vivants. Notre imaginaire sonde au plus profond de chacun les désirs et besoins particuliers que l’on peut ressentir. Le sens commun dans la société occidentale considère l’imaginaire comme ce qui n’est pas réel, le fait d’évoquer une image mentale. Le mot «imaginaire» appartient aujourd’hui au langage commun, et désigne l’évocation d’objets ou la combinaison d’images et idées, de situations possibles.
L’analyse de Rob Hopkins sur cet imaginaire m’aura grandement inspiré à réaliser cette définition de la notion. Celui-ci considère l’imaginaire comme la possibilité de voir les choses comme une chose différente de ce qu’elles sont actuellement. Cette faculté semble intrinsèquement liée à notre relation à la nature, car elle est proportionnellement sensible à notre relation et notre connaissance du monde, à la variété des espèces. La nature évolue constamment, elle se développe, s’adapte, se transforme, une part mystérieuse qui éveille en nous la curiosité et nous inspire. Elle est liée à nos connaissances et à ce que l’on voit. On peut considérer alors que notre imaginaire serait bien plus réduit si nous vivions, par exemple, sur la lune, où les êtres vivants et la nature ne sont pas présents. Quand bien même l’imaginaire est une invention de nos esprits, elle s’inspire toujours d’une réalité. Certaines sociétés considèrent même la nature, l’imaginaire et le rêve comme des parties essentielles de l’organisation de leur société et dans celui des rapports humains. Le rêve est perçu comme une science et un symbole fort auquel ces personnes croient sincèrement, et à partir desquels ils prennent des décisions importantes, comme les Quechuas au Pérou. L’imaginaire n’est pas compris en opposition à la réalité ; il n’est jamais remis en question, qu’il soit ignoré ou incompris, il participe à l’inconscient individuel.
La notion de l’imaginaire a longtemps participé à la société occidentale sous un autre nom : l’inconscient collectif. L’imaginaire fut utilisé à des fins idéologiques, pour répandre largement des idées et des convictions. L’imaginaire cherchait à construire une idéologie dans l’esprit de son public. L’imaginaire collectif et l’inconscient collectif sont des notions qui sont liées selon des paramètres identiques. Ils fonctionnent alors tel un liant, une force à l’insu des individus, organisant le fonctionnement d’un groupe social selon des idéaux, objectifs, et des volontés d’agir : il fait généralement référence à l’individuel, mais peut aussi être un concept partagé entre les individus. L’éducation de l’enfant dans la société occidentale, tend toujours à le conserver, le préserver, mais il s’interrompt vite lors de la première prise de parole. Nous avons un exemple de la seconde moitié du XXème siècle, lorsque l’artiste Christo emballe des monuments, des îles, des espaces naturels, et se faisant, les habitants imaginent ce qui se cachent sous cette enveloppe. Cet acte permet de récréer tout un intérêt collectif pour ces monuments que certains croisent pourtant quotidiennement. En éveillant cet intérêt, Christo éveille alors une idée collective de ce qu’était le monument, cet espace naturel avant, ce sont des lieux de mémoire collective qui sont créés (voir mythe).
Dans le projet architectural participatif, les envies, les désirs profonds et l’imaginaire de chacun des habitants est écouté. Ces projets encouragent l’imagination à fleurir, car elle est la source du projet, ce qui lance l’initiative. Des réunions sont organisées autour de l’idée d’imaginer. La carte mentale est une méthode de projet permettant de revenir aux désirs simples, au geste brut de la main. Et si chaque personne dans une ville faisait un carré de 1x1m d’herbe sur le toit de son habitat, ne deviendrait-elle pas un parc national ? Par ce type d’exemple simple et pourtant très réalisable, la personne posant la question propose d’imaginer en évoquant une possibilité. Une réflexion de Rob Hopkins permet d’appréhender ce phénomène dans l’architecture : en posant la question du «Et si», en invitant à imaginer ce que chaque endroit peut devenir. Lorsque la question est posée et que les premières idées émergent, la question passe de « et si » à « quand », et la transformation de l’espace devient concrète et non plus utopique. Il y a quelque chose de fort dans le fait de parler non pas d’un futur hypothétique mais de montrer concrètement ce à quoi un espace peut ressembler si nous l’imaginons différemment.
L’imaginaire dans le mouvement de transition, dispose du potentiel à générer des lieux d’épanouissement, propices à la vie en communauté. Ce mouvement s’inspire de celui-ci pour transformer nos modes de vies, de consommation et d’habitat. En effet, pour que la ville soit de nouveau un lieu d’accueil des êtres vivants, elle doit être complètement ré-imaginée, et qui de mieux pour cela que les futurs acteurs qui y vivront ? C’est ici que le rôle des architectes devient primordial. Ils sont chargés de mettre des formes aux idées et aux concepts forts qui émergent. Les habitants ne sont donc pas complètement les architectes de cette nouvelle ville, mais un réseau immense de pensées et d’idées qui enrichissent la conception urbaine. C’est également le rôle de l’architecte de retranscrire l’imaginaire des gens, d’apporter des réponses crédibles et réalisables à l’ensemble des rêves et utopies qui émergent. Imaginer la ville dont on a envie, présenter devant chacun une page blanche et des outils de dessin et leur demander de dessiner leur ville, de dessiner leur habitat, leur quartier. On met en valeur les compétences locales, non pas seulement le savoir faire, mais l’esprit individuel, les acteurs locaux, les connaissances. En outre, en adoptant ce concept, nous avons l’opportunité de produire des villes adaptées à la vie en communauté et au bien-être personnel. L’architecte façonne l’espace, et avec, les rapports humains, il décrit avec les habitants leur avenir : amener à imaginer demain, c’est donner les clefs du changement et de la transformation de la ville à ceux qui sont les plus concernés, c’est à dire a ceux qui y vivront prochainement. Il appartient à chacun d’imaginer sa propre ville, son propre espace, son habitat. Il s’agit en quelque sorte d’une forme de compétence locale de l’imagination, un outil de conception inné. L’architecte accompagne les habitants vers un meilleur futur, il tend le doigt vers ce qui est faisable, vers un avenir plus radieux.
Notre culture contemporaine nuit pourtant à notre imaginaire, la technologie nous vole notre attention. Cette attention manquante nous empêche de nous connecter à notre monde, nous donnons l’impression que «nous sommes toujours ailleurs», selon Rob Hopkins. Notre attention est précieuse, c’est notre capacité à la fois à nous concentrer, mais aussi à nous ennuyer, et ces capacités sont absorbées de plus en plus. Il faut réapprendre, en découvrant notre monde, à le regarder et le remarquer. C’est une représentation non conventionnelle des relations sociales et spatiales de nos villes, ce dont les enfants sont capables et que nous perdons au fur et à mesure que nous prenons de l’âge. Leur curiosité nous permet d’entrevoir le différent. Il est toujours intéressant de se demander à quoi ressemblerait notre vie si certains changements s’opéraient : commencer à visualiser les différents scénarios qui s’offriront à nous.
Imaginer, c’est simplement regarder autour de soi et se questionner sur toutes les possibilités qui s’offrent à nous.
Références :
Hopkins Rob. Manuel de transition ; de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Ecosociété eds, Montréal, 2010.
Conférence - rencontre avec Rob Hopkins: https://www.youtube.com/watch?v=h1vDk4OWVT8&t=760s