NOMMER LES ÊTRES, NOMMER LES LIEUX
MYTHE
Par CHENIKI, Adel Nazim
Mythe de Romulus et Remus, Rubens.
Les peuples ne peuvent se passer de mythes, de récits, de croyances, et de représentations leur permettant de saisir le monde et la relation qu’ils entretiennent avec les autres êtres qui l’habitent : le mythe est le produit d’une vision et d’une conception du monde. Le mythe met en jeu la relation entre nature et culture qui peut se présenter sous diverses formes : continuités, discontinuités, oppositions... Le mythe permet une lecture d’une histoire, il est aussi le produit d’une construction qui se transforme en « structures inconscientes ». Souvent, on définit le mythe comme une entité statique et anhistorique, définition rejetée par certains anthropologues et philosophes considérant que le mythe peut être investi d’historicité, il serait produit et porteur d’Histoire. Ainsi, pour Roland Barthes (1957) il serait un système de communication, une matière, mais aussi une parole, un thème idéologique, celui de la « doxa dominante ».
Définition et étymologie
Le CNRTL, définit le mythe comme « un récit relatant des faits imaginaires, non consignés par l’histoire, transmis par la tradition et mettant en scène des êtres représentant symboliquement des forces physiques, des généralités d’ordre philosophique, métaphysique ou social ».
Les mythes sont une aspiration fondamentale de l’être humain et un besoin métaphysique, ils constituent une constante de toute civilisation. Ce sont des constructions mentales, issues de l’imagination, mais qui donnent confiance et incitent à l’action 1. Les mythes assurent, en ce sens, une fonction de cohésion sociale, ce sont des images idéalisées capables de cristalliser les aspirations collectives. Toute civilisation est construite sur un mythe, un récit fondateur, comme c’est le cas pour Rome, avec le mythe de Romulus et Rémus.
L’action du mythe est la mythification, qui signifie créer ou instaurer un mythe. Un personnage historique peut être transformés en mythe. Des personnages de roman peuvent également faire l’objet d’une mythification comme Don Quichotte.
Etymologiquement, le mythe vient du latin mythos, emprunté au grec, signifiant « suite de paroles qui ont un sens, discours, fiction, mythe ». En 1840, le mythe signifiait l’exposition d’une idée, d’un enseignement, sous forme allégorique, l’allégorie de la caverne en est une illustration.
Une mythologie est un ensemble de mythes liés à une civilisation, une religion, à un thème, à un élément… Par extension, le mot désigne l’étude, la connaissance et l’explication des mythes, de leur signification. Le terme mythologie peut également désigner un recueil de récits mythiques, un ensemble de croyances, des idées qui se rapportent à un même personnage ou à un même groupe ou aux mêmes aspirations collectives.
Le mythe, entre anthropologie et sémiotique
Selon le CNRTL, le mythe est étymologiquement une « suite de paroles qui ont un sens, discours, fiction », deux disciplines se sont attachées à le définir :
D’un côté, l’anthropologie structurale, avec Claude Lévi-Strauss qui définit le mythe comme « une succession d’évènements [qui n’est] subordonnée à aucune règle de logique ou de continuité, et dans lequel toute relation concevable est possible » (Levi-Strauss, 1955 : 4). Il se réfère toujours à des évènements ayant eu lieu avant la création du monde ou à la création de celui-ci. Les mythes renvoient toujours à une dimension immémoriale. Ces évènements immémoriaux formant une structure permanente qui se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur. Pour illustrer cette définition, Levi-Strauss effectue un rapprochement entre la pensée mythique, et l’idéologie politique contemporaine : La Révolution française constitue une séquence d’évènements passés, qui permettent d’interpréter la structure sociale de la France actuelle, et éventuellement d’entrevoir les possibilités d’évolution future (Lévi-Strauss, 1955 : 4).
De l’autre, la sémiologie, avec Roland Barthes pour qui le mythe est un système de communication composé d’un signifié, d’un signifiant et d’un signe (Barthes, 1957 : 180). Le signe et le signifiant donnant naissance à un signe. Le mythe peut donc être véhiculé non seulement par la parole mais aussi par tout autre mode de communication comprenant ces trois éléments, à savoir : un son, une image, une publicité…
Le but du mythe est de transformer une intention historique en nature, de la transformer en continuité, en éternité. Sa fonction est d’évacuer le réel et de donner une forme d’abstraction aux choses, comme si elles avaient toujours été là, comme des évidences éternelles (Barthes, 1957 : 230).
Le mythe en sémiologie est l'inverse du mythe en anthropologie structurale : En anthropologie structurale, le mythe vise à expliquer une réalité complexe, immémoriale et permanente, tandis qu’en sémiologie le mythe est en mouvement, instable, mobile, visant à abstraire une réalité complexe (contemporaine) avec pour objectif de la « mythifier ».
Le mythe, par-delà nature et culture
La distinction nature-culture, ou le mythe de l’Homme dominant la nature, qui constitue un paradigme de la pensée occidentale ne va pas forcément de soi. Elle ne constitue qu’un schème possible parmi d’autres. Un schème étant en anthropologie une structure d’objectivation de la réalité. Un mode d’identification et des formes de perception. Cette distinction, peut constituer une barrière à la compréhension d’autres mais ils établissent des formes de discontinuités entre humains et non-humain. A partir de cette observation, Philippe Descola a établi quatre mythologies (schèmes) possibles :
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L’animisme : schème courant dans les tribus d’Amazonie, qui établit une continuité entre les existants (êtres humains, animaux, végétaux) du point de vue de leur intériorité (équivalent de l’âme dans la civilisation occidentale), mais qui appartiennent à des mondes particuliers, du fait de leurs attributs physiques différents. Dans les sociétés animistes, les rapports entre humains et non humains sont des rapports de familiarité et de collaboration et non des rapports de domination.*
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Le naturalisme : schème caractérisant les civilisations occidentales, dans lequel seul l’être humain est doué de subjectivité et de conscience réflexive. Seuls les êtres humains sont dotés du libre arbitre et de la capacité de choix, tandis que la nature est le royaume de la nécessité, de l’inné.
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Le totémisme : qui est caractéristique des tribus australiennes, dans lesquelles humains et non-humains forment des « classes » qui partagent des propriétés physiques et animales similaires, ainsi chaque clan peut avoir un animal totem.
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L’analogisme : Qui est caractéristique de l’Inde, de la Chine et de l’extrême Orient, schème dans lequel le monde est une vaste composition d’éléments en équilibre instable, qui à certains moments se cristallisent en des êtres, qui peuvent être humains ou non-humains.
Ainsi, les milieux physiques et naturels dans lesquels nous naissons et vivons conditionnent nos modalités de relations et d’identification aux autres êtres, et sont à l’origine de l’établissement de l’ontologie des civilisations, leurs mythes fondateurs. Le mythe de l’Homme qui domine la nature ne va pas de soi dans toutes les civilisations, il nous appartient de reconsidérer la relation des êtres humains à la nature :
« Nous devons reproblématiser notre relation avec la nature, que nous avons considérée comme faite d’objets à manipuler, domestiquer ou détruire alors que nous lui sommes inséparablement et vitalement liés. » (Morin, 2016 : 46).
Barthes Roland, Mythologies, Seuil, Paris, 1957.
Cecconi Arianna, Nature et culture, [cours donné dans le cadre de l'enseignement "Nommer les êtres, nommer les lieux", DE 4 Soutenabilité Hospitalité: Bien Vivre, date du cours, ENSA Marseille].
Descola Philippe, Hugot David, « Entretien avec Philippe Descola », Le Philosophoire, vol. 36, no. 2, 2011, pp. 161-178. Lien : https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2011-2-page-161.htm
Lévi-Strauss Claude, La structure des mythes, D'après l'article original : "The Structural Study of Myth", in : "MYTH, a Symposium", Journal of American Folklore, vol. 78, n° 270, oct.-déc. 1955, pp. 428-444. Lien : http://litgloss.buffalo.edu/levistrauss/text.php
Morin Edgar, Pour une pensée du Sud, Actes Sud, Arles, 2016.
Mythe. Dans Le dictionnaire en ligne du Centre National des Ressources Textuelles et Linguistiques (CNRTL). Consulté le 12 Décembre 2020 sur https://www.cnrtl.fr/definition/mythe
Mythologie. Dans Le dictionnaire en ligne du Centre National des Ressources Textuelles et Linguistiques (CNRTL). Consulté le 12 Décembre 2020 sur https://www.cnrtl.fr/definition/mythologie