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MAQUILLAGE

Par DELF, Elise

Foyer pour musiciens de la Bienenstrasse, Zurich, Miroslav Sik.

Martel Marie ©

© Elise Delf

          Pratique ancestrale remontant à l’Antiquité, le maquillage est devenu, au fil de l’histoire, un véritable univers complexe où se mêlent art, identité et société. En 1934, Marcel Mauss, anthropologue français, présente devant la Société de psychologie la notion de « technique du corps ». Ce sont « les façons dont les Hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps ». Dans une perspective qui accorde une nouvelle légitimité sociologique aux gestuelles corporelles, Mauss évoque également les soins quotidiens du corps. On peut considérer l’utilisation du maquillage comme une technique du corps. Historiquement féminisée, les produits cosmétiques commercialisés sont devenus de plus en plus accessibles à de nouveaux groupes sociaux, notamment les hommes, les classes populaires, les personnes âgées ou très jeunes. Pendant l’adolescence, période souvent associée à la découverte et à l'expérimentation, le maquillage peut se révéler comme un véritable outil pour se conformer aux normes sociales ou pour affirmer son identité.

 

          La période de vie située entre l’enfance et l’âge adulte, reconnue sous le nom de l’adolescence est difficilement définie. Certains y voient le début de la puberté, tandis que d’autres y voient un passage vers l’autonomie. Quoi qu’il en soit, cette période se caractérise par le changement, physique et/ou psychique. D’après mon expérience personnelle, les transitions graduelles que j’ai traversées ont souvent engendré un sentiment d’étrangeté. Effectivement, j’ai été confrontée à plusieurs deuils et pertes, tout en découvrant de nombreuses nouveautés. Ces sentiments complexes, mêlant nostalgie et curiosité, ont suscité en moi une volonté de reprendre le contrôle, à commencer par la construction de mon identité et mon rapport aux autres. Cette expérience est loin de m’être unique, puisque l’on entend souvent parler de la notion de « crise d’adolescence » où l’adolescent doit faire face aux normes de la société, la prise de l’autonomie et le besoin d’intégration dans un groupe.

 

          De nos jours, la progression des réseaux sociaux et des influenceurs nous exposent en permanence à des images idéalisées, parfois faussées, et servent comme bases pour que les jeunes puissent comparer et évaluer leur corps. Des tendances apparaissent sur les fils d’actualité puis sont remplacées par d’autres, touchant à des univers multiples : la mode, les manières de parler, les célébrités, la cuisine, etc. Le maquillage n’échappe pas à cette médiatisation. Effectivement, les réseaux sociaux sont devenus des plateformes numériques pour proposer routines, tutoriels et « hauls » participant à la transmission de standards de beauté. Bien que le maquillage puisse se voir être exploré par des enfants dans le cadre de jeux, l’utilisation de ce dernier correspond davantage à la période de l’adolescence, âge auquel se maquiller est socialement accepté. De plus en plus d’adolescents, de tous genres se maquillent afin de se conformer aux normes de beauté ou pour s’en émanciper, témoignant, dans ces deux cas, d’un moyen d’expression.

 

          Actuellement, de nombreuses initiatives offrent aux adolescent·e·s l’opportunité de s’exprimer à travers le maquillage. A la Maison de Solenn, aussi appelée la « Maison des adolescents », un atelier de maquillage est proposé tous les lundis aux jeunes hospitalisés. Cet atelier, animé par une socio-esthéticienne, met en évidence la dimension thérapeutique de l’acte de se maquiller. De plus, durant ces moments de maquillage, plusieurs observations ont été faites sur le comportement des adolescents, révélant leur relation vis-à-vis de leur propre image. Par exemple, au début de la séance, chaque jeune choisit seul sa place par rapport au reste du groupe et sa distance par rapport au miroir. Ce choix constitue une indication sur la manière dont l’adolescent aborde son corps et ressent son image. « Certains se placent de biais et ne se regardent pas, d’autres se mettent face à face avec le miroir et se reculent par la suite ». Les jeunes de tous genres procèdent ensuite à l’application de cosmétiques au niveau du visage. Cette application est différente selon les personnes. Pour certains, le fond de teint doit couvrir l’entièreté de leur visage, tel une protection. Pour d’autres, la sensation d’avoir de la matière sur leur peau est insupportable. Cette application diffère de la même manière pour les autres types de cosmétiques. A la fin de chaque séance, les participants remplissent un questionnaire sur la manière dont ils se représentent le maquillage et son utilisation. Les réponses révèlent des perceptions différentes liées à l’apparence, l’image de soi, l’expression d’émotions : « une façade », « une pointe de gaieté », « un plus pour les sorties et les soirées », « une possibilité d’accepter son visage », « un semblant d’un être nouveau », une manière « de se réveiller », « de bien démarrer la journée », « de cacher ses imperfections », « de se détendre », « de se sentir belle et coquette », « de séduire », « d’extérioriser sa beauté intérieure », « de mettre en relief son charme », « de se montrer tel qu’on désire que les autres nous voient », « de ne pas se sentir nue », « de se sublimer ».

 

          En conclusion, le maquillage, pratique ancestrale qui a évolué de manière significative au fil de l'histoire, touche aujourd’hui à de nombreux sujets : l’âge, le genre, le racisme, l’économie, l’écologie, faisant de lui un univers très complexe. Chez les adolescents, se maquiller constitue un moyen de s’exprimer lors de cette période de découverte. Cet acte peut également se présenter comme une véritable thérapie, dimension illustrée par les ateliers de maquillage organisés par la Maison de Solenn. L’utilisation du maquillage s’étend désormais aux plus jeunes, comme en témoigne l’émergence des « SephoraKids ». Ce phénomène a commencé sur le réseau social TikTok, où on retrouve des milliers de vidéos de rituels de « soin du visage » postées par des enfants de 9 à 13 ans. A travers le monde, les enseignes de cosmétiques accueillent un nouveau type de clientèle, qui sont à la quête de la « peau parfaite », devenue un véritable jeu d’enfant.

BIBLIOGRAPHIE

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CALIANDRO, D. (2012, 8 août). "Tout se relâche à partir de 30 ans" : Petit lexique des rédactrices " Beauté " des magazines féminins. Les mots sont importants. [« Tout se relâche à partir de 30 ans » - Les mots sont importants (lmsi.net)]

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CARTIGNY, M. (2024). Les Sephora kids, quand la routine beauté des petites filles devientvirale. Le Monde.fr, 24 février, URL :Les « Sephora kids », quand la « routine beauté » des petites filles devient virale (lemonde.fr)

 

GHIGI, R. (2016). Beauté. Dans J. Rennes (ed.), Encyclopédie critique du genre. Paris : La Découverte, pp.84-94..

 

MANZANO, L., & MORO, M. R. (2012). L'atelier maquillage. Adolescence, 30(2), pp. 411-419.

 

MAUSS, M. (1936). Les techniques du corps. Journal de Psychologie, XXXII (3-4), 23p. Disponible sur http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/Techniques_corps.html [Communication présentée à la Société de Psychologie le 17 mai 1934].

 

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