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PARASITE

Par SALLÉ, Laetitia
 

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Introduction

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Un « parasite », dans l’imaginaire collectif de la société contemporaine occidentale, est quelque chose ou quelqu’un de nuisible à la société, système, ou groupe dans lequel il évolue, soit un être ou une notion péjorative. Nous allons nous attacher ici à développer ce terme par les prismes de la biologie, de la technique, de l’histoire et de la culture afin de saisir les sens et usages de ce mot pour le questionner.

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Approches scientifiques croisées

 

Du point de vue biologique, jusqu’au milieu du XXe, la notion de parasite qualifie notamment les relations entre êtres vivants dont le lien est unilatéral (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales).

Or, dans le domaine scientifique, on dénombre aujourd’hui de nombreuses relations spécifiques entre espèces qui ne sont pas forcément négatives.

C’est ainsi une liaison complexe et diversifiée qui se décline de manière suivante (liste non exhaustive) : mutualisation, commensalisme, neutralité, prédation, et enfin, l’inquilinisme (www.cosmovisions.com), ce dernier évoquant un parasitisme spatial plus que physiologique.

 

Dans le domaine du son, ce qui est nommé « bruits parasites » sont gênants, ce sont plus spécifiquement des signaux qui brouillent ou déforment les communications. Soit une capacité de modifier son environnement. Le parasite se réfère ici à la création d’une nouvelle entité qui se composent de l’association du son voulu, et du « bruit ». Le terme « bruit » est d’ailleurs utilisé, et non le terme son. Ce choix évoque dans le langage courant quelque chose de négatif, que l’on ne veut entendre. Néanmoins cette dénomination est tout à fait subjective selon ce qu’on veut entendre, entre l’utile et l’inutile. Son antonyme pourrait être par extension la musique (CNRTL).

 

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Historique

 

Dans l’Antiquité grecque et romaine, le parasite était « L’assistant d’un prêtre, qui prenait soin des provisions et dieux et qui était invité à rendre part aux repas communs. ». Les citoyens qui s'asseyaient à la table sacrée, étaient revêtus momentanément d'un statut sacerdotal,  on les appelait parasites. (Fustel de Coul., 1864, p.195).

Cette première définition, liée à l’humain, comporte un caractère neutre, étant basé sur une relation mutuelle : un travail et son dû.

Mais, le parasite était aussi une  personne qui recherchait les repas publics du Prytanée et par la suite, les tables bien servies chez les riches.

« Dans la suite on vit à Athènes des essaims de convives qui s'introduisirent dans les maisons des grands, et en devinrent les commensaux; on les appela parasites, et ce mot se prit alors en mauvaise part » ( Nysten, 1814, cité par Befve, 2011: 59).

Cette seconde définition historique nous montre que dès lors, ce terme était mal connoté, ayant perdu sa notion mutuelle, devenue une relation unilatérale.

 

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Culturel

 

Cette dénomination, au niveau culturel, énonce une certaine ambiguïté de l’humain par rapport aux bêtes. « Nous ne laissons pas leur dépouille pourrir. Nous nous vêtons de cuir, nous nous parons de plume (…) Nous entrons dans leur peau même, dans leur plumage ou dans leurs soies. Les hommes vêtus vivent à l’intérieur des animaux qu’ils ont vidés à belles dents. Je le dirai encore des plantes. (…) Nous habitons la flore tout autant que la faune. Nous sommes parasites, donc nous nous vêtons. » (Michel Serres, 1981)

Cette réflexion ouvre sur une autre échelle de perception : le parasite est le propre de l’Humain.

 

Le film « Parasite » de Bong Joon-Ho (2019), raconte l’histoire d’une famille précaire, s’introduisant dans le quotidien d’une autre : les Park, ayant une situation financière aisée, qui se parasitent mutuellement par leurs actions sociales, et dont la fin est irrémédiablement lugubre. Le cinéaste fait ici le lien entre ce terme et la lutte des classes qui anime l’humain et sa société.

 

L’assimilation d’un être humain à un individu animal (ou insecte) est, du point de vue naturaliste, d’autant plus péjoratif puisque cela « réduit » celui ci à un stade soit-disant moins développé. Or, si nous considérons d’autres visions transcendant la dichotomie entre nature et culture, telles que l’animisme, nous constatons que ces frontières sont bousculées. L’animisme est « l’imputation par des humains à des non-humains d’une intériorité identique à la leur » (Descola, 2005). C’est à dire que dans une certaine mesure, une mise sur un même pied d’égalité l’ensemble des êtres vivants, qu’ils soient humains, animaux ou végétaux.

 

 

Dans l’art et l’architecture

 

Le terme parasite (urbain) est utilisé pour comprendre les mécanismes d’exclusion de la société contemporaine. Il vise des êtres occupant ce que nous appelons des « interstices », ou encore des « tiers lieux » dans les villes, qui sont des espaces de liberté, support d’occupations informelles, utilisés par des personnes en marge.

 

De plus en plus d’architectes, de l’insurrectionnel Jean-Louis Chanéac au « pirate » Santiago Cirugeda, prônent une architecture « parasitaire » pour qualifier différentes interventions. De l’espace bâti dans des interstices ou autres lieux incongrus, en passant par l’architecture mobile. Cette architecture qualifie des interventions où l’on utilise des bâtiments ou des situations urbaines existantes pour créer de nouveaux espaces.

 

L’architecture parasitaire célébrerait l’échelle humaine dans la ville démesurée (Calbert, 2001). De même, elle permettrait une forme de flexibilité par rapport à un besoin actuel. A l’heure où les usages et pratiques changent à une vitesse considérable, cela peut être considéré comme un atout.

 

D’autres disciplines détournent également ce terme en se basant sur la notion d’informel : Michael Rakowitz, dans son intervention paraSITE propose des abris temporaires à des personnes habitant dans la rue, en se greffant à une bouche d’aération. Il détourne l’usage premier des mobiliers et équipements urbains pour proposer une aménité.

 

En Turquie, l’exode rural du milieu du XXe siècle augmente considérablement la population des villes, notamment à Istanbul. Pour pallier au besoin de se loger, les habitants s’installent de manière illégale sur des terrains en périphérie : les gecekondus. Gecekondu désigne une « habitation crée en une nuit » sans permis de construire. A terme, cela a crée des quartiers entiers, qui ont été l’objet de politiques variées : certes, certaines destructions, mais aussi, une acceptation par une légalisation. A ce jour, avec l’expansion urbaine, certains gecekondus ont un prix au m² supérieur à d’autres quartiers plus en périphérie. Cette évolution du statut montre à quel point ce qui était initialement « parasite» peut évoluer dans les représentations collectives.

BIBLIOGRAPHIE

BEFVE Louis, L’architecture parasitaire : un outil de renouvellement urbain ?, mémoire de master 2, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val de Seine, 2011.

 

BONG Joon-ho, Parasite, Barunson E&A, 2019, 131 min.

 

CHANEAC Jean-Louis, Cellules parasites, Collection FRAC Centre, 1968.

 

CIRUGEDA Santiago, Situaciones Urbanas, Barcelona : Editorial Tenov, 2004.

 

CNRTL, Centre Nationale des Ressources Textuelles et Lexicales, www.cnrtl.fr , consulté en décembre 2019.

 

ERDI Gülçin, « Les politiques urbaines en Turquie : entre conservatisme néolibéral et autoritarisme », Métropolitiques, 20 juin 2016, https://www.metropolitiques.eu/Les-politiques-urbaines-en-Turquie-entre-conservatisme-neoliberal-et.html , consulté en décembre 2019.

 

MARTIN Cécile, Architecture parasitaire, eTc revue d’art actuel, nº87 (Montréal, Canada), sept., nov. 2009, p. 5–9.

 

PEROUSE Jean-François, « Les tribulations du terme gecekondu (1947‑2004) : une lente perte de substance. Pour une clarification terminologique », European Journal of Turkish Studies, n° 1, 2004, https://journals.openedition.org/ejts/117 , consulté en décembre 2019.

 

SERRES Michel, Le parasite, Paris : Éditions Hachettes, réédition, 2014 (1981).

 

www.cosmovisions.com

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