NOMMER LES ÊTRES, NOMMER LES LIEUX
ENCHANTEMENT
Par MORET, Inès
Au-delà de l’expression que nous connaissons tous, “ Enchanté de faire votre connaissance ”, le mot enchantement engendre un double sens. Selon le dictionnaire Larousse (XXIème siècle), c’est avant tout une relation au monde magique : “ pouvoir magique s'exerçant sur un être ou sur une chose, sortilège ; état de celui ou de ce qui y est soumis ”, mais aussi une joie intense : “ état d'âme de quelqu'un qui est charmé ; ravissement, ivresse ”.
Le mot enchantement provient du latin incantare, qui signifie“ chanter quelque part ”, aujourd’hui ce terme peut facilement faire référence à la littérature et plus particulièrement à la fiction et au monde de l’imaginaire. Au sens strict et se référant à son étymologie, enchanter consiste à soumettre quelqu’un ou quelque chose à une action magique, surnaturelle, grâce à une opération spéciale tel un “ charme ”, un “ chant ”. L’enchantement résonne aussi beaucoup avec la thématique de l’enfance. En effet, qui serait mieux placé qu’un enfant pour se laisser enchanter et enchanter à son tour son entourage. Son insouciance et sa capacité d’émerveillement lui permettent une ouverture vers un monde imaginaire qui se trouverait plus restreinte chez un adulte.
L’enchantement se réfère à un champ lexical de la magie, d’un monde extraordinaire, cependant le poète et critique britannique Samuel Taylor Coleridge, évoque ce terme en 1817 comme une “ extension volontaire d’une incrédulité ”. Il replace alors le sujet au premier plan et offre un cadre théorique aux futurs travaux sur la fiction. Nombreux de ces poèmes relatent du surnaturel. Il explique ce dernier terme comme une opposition au naturel : le surnaturel serait appréhendé plutôt que compris. En effet, quelque chose serait appréhendé lorsque l’on peut connaître son existence sans la comprendre.
Depuis toujours les parents racontent des histoires fantastiques à leurs enfants, que ce soient des histoires avec des monstres, des contes de fée, ou encore l’existence du Père Noël ou de la petite souris. Ces histoires permettent de nourrir l’imagination des enfants, de cultiver leur optimisme, de les bercer et de les faire grandir le plus longtemps possible dans un monde meilleur que celui que leurs parents connaissent. De ce fait, les enfants eux-mêmes deviennent une sorte d’enchantement pour les adultes qui les entourent.
Les albums jeunesses peuvent prendre différentes formes, il existe des livres avec seulement des images, d’autres avec des images et du texte que les parents peuvent lire, aussi certains albums peuvent contenir des textures de papier différentes, des éléments à déplier oudes sons à écouter. Ils permettent aux jeunes lecteurs de développer des émotions, de s’élargir au monde de la pensée et d’augmenter leurs capacités de concentration et de mémorisation. Enfin, ces évolutions permettraient d’éveiller la cognition sociale de l’enfant. La cognition sociale admet que les objets sociaux donnent lieu à des représentations mentales de type schémas, par exemple, le concept de professeur s'inscrirait dans un schéma possédant des attributs comme l'autorité et le savoir. Un enfant à qui on aurait lu des histoires seraient donc plus apte à se représenter des choses simples de la vie et aurait donc une conscience de l’enchantement lorsque celui-là existe. Être enfant, c’est avoir de l’imagination sur des sujets méconnus, mais c’est aussi en avoir autour de choses véridiques, l’imagination serait alors comme un jeu dont ils auraient la maîtrise des règles.
Au-delà de la littérature et des albums jeunesse, l’enchantement peut être engendré par la musique. La musique peut avoir de l’effet sur son auditeur au moment où ce dernier l’écoute, mais aussi après coup. Je pense tout de suite à la chanson “ Un kilomètre à pied ça use, ça use ” qui nous a tous au moins une fois entraîner à continuer à marcher lors d’une balade pendant l’enfance durant laquelle nous étions fatigués.
Dans les espaces publics en ville, comme la rue par exemple, l’enfant est conditionné à marcher d’une certaine manière, il ne serait pas aussi libre que chez lui ou qu’à la campagne. Il doit faire attention aux passants, aux voitures et aux vélos, tout en respectant un certain nombre de règles comme les feux et les passages piétons.
L’enchantement du monde de l’enfant est alors perturbé, il lui sera difficile d’exercer pleinement son imagination, de laisser ses idées aller le long d'un trajet. Aujourd’hui lorsque l’on recherche “ enfant piéton ” sur internet, on tombe sur des messages de prévention, des offres de certaine assurance et sur le “ Permis piéton ” qui est un programme national de prévention à propos du “ risque piéton ”. L’enfant, dès qu’il aura atteint la capacité de marcher, sera alors soumis à une multitude de règles dont il n’aura pas conscience.
L’enchantement de l’enfant est aussi mis en épreuve lorsqu’il se rendra dans un centre commercial. Ces espaces de vente, sont souvent constitués de faux arbres, de musique énergique et de panneaux lumineux émanant des couleurs vives. Ces éléments plongent les enfants dans un état qu’ils ont du mal à expliquer et deviennent des proies faciles du capitalisme. Cependant, le fait d’offrir une forme d’enchantement aussi codifié et factice ne restreindrait-elle finalement pas l’imagination du visiteur ? En effet, c’est souvent dans des espaces plus neutres poussant l'enfant à s’ennuyer que ces derniers seront obligés d’être imaginatifs pour s’amuser. Avec l’âge, la notion d’enchantement peut évoluer. En effet, le fait d’être adolescent dans un centre commercial, offre la liberté de déambuler sans se soucier des voitures ou des vélos dans un espace délimité qui pourrait aussi rassurer les parents. Les jeunes peuvent se retrouver dans une situation où ils se sentent explorateurs du monde adulte. Ils peuvent se laisser tenter à essayer des talons, des accessoires ou des vêtements qu’il pourrait choisir même en sachant qu’à la fin ils n’achèteront rien.
Dans le livre Pays de l’enfance, le philosophe et urbaniste Thierry Paquot, qualifie les enfants de “ chercheurs d’hors ”. Les enfants auraient une certaine capacité à vouloir chercher en dehors, leur aspect téméraire les pousseraient à s’aventurer vers ce qu’ils ne connaissent pas. De cette manière ils essayent de façonner leur propre monde en s’imaginant parfois des interactions imaginaires ou fictives. Ils seraient comme à la recherche d’un enchantement qui n’existe que pour ceux qui le cherchent. Sans vouloir trouver quelque chose, le jeu serait ce temps d’exploration et de découverte du monde qui leur ai encore inconnu. Nous pouvons alors nous demander quand est-ce que cet enchantement cesse ? En effet, l’adulte aura toujours des choses à découvrir et à apprendre. La curiosité et la manière d’appréhender ces nouvelles connaissances pourraient constituées les principaux moteurs de l’enchantement.
© Inès Moret
RÉFÉRENCES
Colloque de Cerisy, L’Enchantement qui revient, 2023. URL :https://www.cairn.info/l-enchantement-qui-revient--9791037022844.htm
DEFRANCE Bernard, Compte rendu de l’ouvrage Pays de l’enfance, Thierry Paquot, collection L’esprit des villes, 2022, Vincennes: Ed. Terre Urbaine, Topophile, URL : https://topophile.net/savoir/pays-de-lenfance-de-thierry-paquot/
PATRIC Jean, Le monde parfait, 53 min, Arte, 2019. URL :https://www.dailymotion.com/video/x82269n