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CHUTE, N.F.

Par NUTTE, Matthias 

« Mouvement de quelqu’un ou de quelque chose qui tombe. Action de se détacher de son support.

Action de tomber d’un niveau à un niveau inférieur. »

                                                                                                                     CNRTL (consulté le 16/05/2024)

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La chute, tous y avons été confronté, l’avons crainte. Mais pour quelles raisons ?

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Elle est importante et nécessaire pour notre construction personnelle et nos apprentissages.

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C’est durant notre enfance qu’elle est la plus présente, apparaissant assez spontanément. C’est par l’acquisition de mouvements du quotidien, marcher, courir, grimper, jouer, construire, expérimenter, qu’elle est la plus présente, nous permettant d’apprendre, de retenir.

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Qui, enfant, n’a jamais chuté pour apprendre à marcher, puis ne s’est jamais relevé pour, ensuite, y arriver et trouver son équilibre ?

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La chute peut être vue comme, l’action de tomber, dans l’espace physique et d’échouer, dans l’espace psychique.

Généralement vue comme une action négative qu’il faut éviter à tout prix, elle s’accompagne cependant d’un apprentissage par l’expérimentation.

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Pourquoi donc avoir peur de chuter et de voir chuter ?

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Depuis un certain nombre d’années, on assiste à une grande protection des enfants par une surveillance renforcée. Les normes et réglementations autour des espaces de jeux et cours de récréation sont également de plus en plus contraignantes.

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Les enfants qui n’ont plus réellement leur place dans la ville, considérée comme trop dangereuse pour eux, n’ont plus que les parcs et squares pour jouer, expérimenter et apprendre par eux-mêmes. C’est par une réglementation de 1923, que les enfants ont été parqué dans les aires de jeux par volonté de désencombrer le trottoir et de ne plus gêner les piétons dans leur circulation. « L’enfant se retrouve interdit de rue », considère Thierry Paquot dans son Dicorue.

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Ces aires de jeux sont de plus en plus réglementées, ressemblant ainsi plus à des forêts d’interdits qu’à des espaces propices à la créativité et à la liberté.

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C’est depuis 1990, que l’allergie de la société à la chute et à l’accident s’est intensifiée avec une multiplication des normes dans ces espaces.

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On ne doit plus tomber, ni se faire mal par crainte entre autres de procès. C’est pour cela que les normes et réglementations se sont développées, au même titre que les bitumes de caoutchouc, les grillages, les structures basses ou autres jeux non stimulants à l’entière vue des parents. La terre, les bacs à sable et les arbres et autres plantes disparaissent de ces espaces malgré le fait qu’ils offrent un terrain de jeux des plus simples et pratiques aux enfants, en apprenant à jouer, chuter, vivre avec la nature et les espaces qui les entourent.

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Selon le décret de 1994, toujours en vigueur, fixant les exigences de sécurité des équipements d'aires collectives de jeux, ces espaces doivent posséder des angles arrondis, des surfaces devant éviter toutes brûlures, tous angles, ouvertures mobiles et ouvertures pouvant générer une chute potentielle. Ce décret stipule également :

« Les parties d'équipements élevées doivent être correctement protégées pour éviter le risque de chute accidentelle.

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Les équipements doivent être conçus de manière que, quelles que soient les circonstances, les adultes puissent accéder à tous les endroits où les enfants sont susceptibles de se trouver.

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Les éléments rotatifs doivent être conçus de telle manière que les risques de blessures, quand l'enfant tombe de l'élément rotatif ou le quitte alors qu'il est en mouvement, soient réduits au minimum. »

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Où est donc passée la liberté de jeu et d’expérimentation de l’enfant ? Comment peut-il être stimulé dans ces espaces avec comme préoccupation principale de le protéger de la chute ? Les aires de jeux ne permettent ainsi pas aux enfants de se développer entièrement en stimulant leur imagination ou en développant leur indépendance, dans ces espaces qui leur sont pourtant officiellement destinés, pour comprendre leur environnement et pouvoir vaincre d’éventuelles peurs.

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On peut également lire dans cette réglementation : « L'émission par les équipements de substances dangereuses doit être limitée de manière à être sans effet sur les enfants ou à réduire ces effets à des proportions non dangereuses. »

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Éviter la chute serait donc plus important que d’éviter l’usage de matériaux nocifs pour les enfants, leur santé et leur corps en formation continuelle, en contact direct avec cette matière industrielle et ultra-transformée.

De nos jours, l’enfant est privé de rue à cause de l’importante place prise par la voiture, la vitesse dans la chaussée et les voitures garées sur les trottoirs. La rue est vue comme hostile pour les enfants considérés comme incapables et non débrouillards, « de simples spectateurs d’un monde d’adulte qu’ils assimilent passivement » (Hardman, 1973, Montgomery 2008b, cités par Girard 2019).

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Il se développe peu à peu une sur-protection de la part des parents, vivement encouragés par les normes sociales, qui surveillent en permanence leurs enfants et les aident à la moindre contrariété, rendant les enfants dépendants de leur parent pour affronter un monde qui leur semble hostile, dangereux et dont les clés de compréhension ne sont pas acquises par l’expérience mais données par la parole.

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Quand on s’intéresse au réel impact de ces politiques normatives pour éviter au maximum la chute, on s’aperçoit que les enfants ayant moins peur de tomber et de se blesser, font moins attention et se blessent plus. On s’aperçoit que les traumatismes à la tête n’ont pas diminué mais que les fractures aux bras et aux chevilles ont, quant à elles, augmenté.

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Cette crainte des parents n’est pas non plus justifiée, d’après une étude anglaise citée par Julie Pêcheur, en 1971, 80% des enfants de CE2 allaient à l’école seuls, en 1990 ils ne sont plus que 9% et encore moins aujourd’hui alors que le nombre de kidnapping (pas par un proche mais des inconnus) n’ont pas augmenté.

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Thierry Paquot, nous explique également le manque de temps chez les enfants à cause d’emplois du temps de plus en plus organisés et de l’apparition du numérique. Ils sont ainsi de moins en moins sujet aux temps d’ennuis, d’attente, d’expérimentation et de chute. Les enfants ont donc moins de temps pour sortir et bouger par eux-même en les coupant en quelque sorte d’une forme d’expérience du réel.

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Il serait ainsi nécessaire de redonner aux enfants un peu plus de liberté et d’indépendance. « Les enfants ont besoin de se confronter au risque et de dépasser leur peur », rappelait Ellen Sandseter dans un article du New York Times de 2011.

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Il faut donc laisser faire la chute.

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C’est en chutant que l’enfant va prendre conscience du danger et apprendre la bonne manière de prendre des risques. Il doit être confronté au danger pour apprendre à le maîtriser en restant alerte et conscient de sa présence.

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C’est par la chute et les jeux hasardeux que l’enfant pourra expérimenter, apprendre en faisant, accepter d’apprendre en se trompant et de se tromper pour apprendre. Cette acceptation de la chute le mettra ainsi dans des conditions d’autonomie qui pourront favoriser et stimuler son imagination, son envie de découverte, sa créativité.

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Il ne reste qu'à offrir aux enfants la capacité de créer, d’apprendre et de découvrir en chutant.

Chuter, comprendre pourquoi, recommencer, y arriver sans chuter.

Un processus pour être « confronté aux responsabilités qu’offrent la liberté » et trouver la satisfaction de réussir et surtout comprendre d’où vient cette réussite sans oublier le parcours pour y arriver.

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Ainsi la chute n’est plus le plus important. Se relever devient le moyen d’arriver à ses fins. Il faut donc faire confiance aux enfants qui une fois en autonomie n’ont pas d’autres choix que d’essayer d’appréhender le risque pour pouvoir le surmonter.

BIBLIOGRAPHIE

 

BALLADUR Edouard, Décret n° 94-699,10 août 1994, Légifrance, URL : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/ JORFTEXT000000366889, (consulté le 18/05/2024)

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Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, URL : https://www.cnrtl.fr/definition/chute, (consulté le 16/05/2024)

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GEORGES Clara, « Où sont passés les enfants des villes ? », Le Monde, 14/09/2022.

GIRARD Marie-Pier, « Enfance », Anthropen, Université Laval, 2019, URL : https://revues.ulaval.ca/ojs/index.php/anthropen/article/view/30606/182 (consulté le 16/05/2024)

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KARSTEN Lia, VERSTRATE Lianne, « Development of Nature Playgrounds from the 1970s Onwards », in : Play and Recreation, Health and Wellbeing, Springer Science+Business Media Singapore, 2015, pp.173-191.

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PAQUOT Thierry, Dicorue. Vocabulaire ordinaire et extraordinaire des lieux urbains, CNRS éditions, 2021.

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PÊCHEUR Julie, « Des aires de jeux permissives pour des enfants plus libres », Le Monde, 13/02/2015.

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