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JARDIN

Par GIRARD, Guillaume
 

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     Le dictionnaire Larousse donne au jardin la définition suivante : « terrain, souvent clos, où l’on cultive les végétaux utiles (légumes, arbres fruitiers) et/ou d’agrément (fleurs, arbustes ornementaux). » (Le petit Larousse illustré, édition 2003). Le site Internet larousse.fr lui apporte l’ajout suivant : « espace aménagé pour la promenade ou le repos, dans un souci esthétique, et portant des pelouses, des parterres, des bosquets, des plans d’eau ».Le dictionnaire reprend ainsi presque mot pour mot l’explication formulée dans Grand mal fit Adam, édition H. Souchier, présenté comme référence dans l’étymologie du mot. Qu’elle vienne du gallo-roman « hortus gardinus », du vieux bas francique (langue encore sujette à débats) « gart » ou « gardo », ou alors du vieux haut allemand « gart » ou « garto », l’étymologie évoque à chaque fois la clôture, l’enclos. Il est même intéressant de remarquer dans l’étymologie gallo-romane que c’est le mot « hortus » qui signifie « jardin », alors que « gardinus » ne fait référence qu’à la clôture. Le jardin est donc étroitement lié à l’idée d’un environnement fermé, par opposition à un univers « extérieur ».A la lumière des définitions contemporaines, il apparaît également que le jardin possède une double fonction de « nature nourricière » d’un côté, et de « nature à admirer » de l’autre.

         Le jardin est aussi un lieu où se mélangent nature et culture. C’est tout d’abord le lieu où on cultive la nature. En effet, le jardin est avant tout un lieu de culture. On peut citer l’exemple des jardins potagers ou encore des jardins ouvriers, ces derniers étant par ailleurs très souvent utilisés pour la culture de plantes potagères. Ces types de jardin sont destinés à une culture vivrière, c’est-à-dire que les récoltes sont essentiellement destinées à l’autoconsommation et à l’autosuffisance. Alors que les jardins potagers se retrouvent dans tous les milieux sociaux, allant du petit terrain de campagne aux vastes terres des grandes demeures, et même des châteaux, en passant par les terrasses dans les centres-villes (on parle alors de « potagers sur pieds »), les jardins ouvriers, eux, sont conçus pour une partie ciblée de la société. Apparus dès la fin du XIXème siècle pour les classes ouvrières, ils permettaient notamment de soulager les familles les plus pauvres en leur apportant de quoi manger. Ils avaient également pour but inavoué de fidéliser l’ouvrier à son entreprise, en l’enracinant au sol, et de l’éloigner des cabarets en l’obligeant à cultiver son lopin de terre. Aujourd’hui, les jardins ouvriers se voient affectés par un phénomène ressemblant sensiblement à une gentrification, ayant entraîné quelques changements. Tout d’abord, leur nom a changé, passant de « jardins ouvriers » à « jardins familiaux » dans la deuxième moitié du XXème siècle. Ensuite, les jardins ouvriers séduisent de plus en plus les classes moyennes et supérieures, attirées par la convivialité de ces espaces ou par la découverte des bienfaits du jardinage.

        Cependant, le jardin n’est pas seulement le territoire de l’agriculture. C’est aussi le lieu où on dote la nature d’une culture. En effet, le style du jardin est grandement influencé par la culture de son jardinier et/ou de son propriétaire. La situation géographique, l’époque de création du jardin, ainsi que l’origine sociale de ses créateurs alimentent majoritairement l’aspect du jardin. C’est ainsi que sont apparus au cours du temps différents styles de jardins, dont les plus connus sont le jardin japonais, le jardin à l’anglaise, le jardin à l’italienne, et le jardin à la française. Il s’agit majoritairement de jardins d’agréments. Chaque jardin possède ses propres symboliques. Cependant, les jardins correspondant à ces styles académiques, utilisent des symboles identiques. Par exemple, dans le jardin à l’anglaise, le but est de recréer un paysage pittoresque, proche d’un état naturel. Les chemins y sont sinueux et irréguliers, la topographie du terrain est conservée, accentuée voire reconstituée de toute pièce. Ce style de jardin fut particulièrement apprécié à l’époque romantique, notamment au XIXème siècle. Le jardin japonais, quant à lui, tend à reconstituer le monde à une échelle miniature, en épurant ses formes. Les pierres peuvent ainsi représenter une montagne (le mont Shumisen ou Sumeru dans le bouddhisme, ou le mont Hōrai dans la culture taoïste), une grue et une tortue, ou encore le Bouddha et ses disciples, suivant leur taille, leur forme et leur disposition dans le jardin. La perspective est aussi très importante dans le jardin japonais. Il ne s’agit pas de développer de longues allées rectilignes, mais de travailler sur les trois plans : le premier plan, le plan intermédiaire et le plan lointain. Le jardin à l’italienne quant à lui se compose de plusieurs carrés, souvent aménagés en terrasses sur des flancs de collines. Cette fois, la géométrie domine et le jardin se soumet aux règles mathématiques de composition. Bien que les vues vers l’extérieur, les panoramas et les perspectives soient travaillés, chaque carré se conçoit comme une entité entière et indépendante, parfois clôt sur lui-même par des haies ou des arbres, et possède sa propre ambiance et sa propre scénographie. Les jardins à la française constituent l’apogée de la domination des sciences sur la nature. En effet, le jardin à la française se compose de grands axes rectilignes accentuant la perspective. La symétrie y est omniprésente. Comme pour le jardin japonais, le jardin à la française comporte trois plans. Ces trois plans sont traversés par l’axe principal, et symbolisent la domination de l’Homme sur la nature. Entre les plans une gradation s’opère. Au premier plan, on retrouve des carrés de haies taillées, des parterres de fleurs, des bosquets soigneusement organisés. Des jardins potagers sont parfois composés comme des parterres de fleurs, avec le même souci d’esthétique et de composition géométrique. Les allées rectilignes et symétriques s’ajoutent au dessin complexe des parterres. La nature y est soumise à la volonté de l’Homme. Au second plan, la composition est encore géométrique, mais les dessins complexes ont disparu. La végétation est encore taillée et organisée, mais les parterres méticuleusement dessinés ont laissé place à des arbres bien plus hauts, formant une masse dense. L’Homme compose avec la nature sans la dominer complètement. Au dernier plan, les arbres sont encore plus denses, encore moins organisés, et peu ou pas taillés. C’est la nature qui domine, et l’axe principal est la seule intervention humaine. Aujourd’hui, le terme « jardin à la française » peut évoquer uniquement la partie travaillée selon des dessins géométriques complexes, c’est-à-dire le premier plan.

       Le jardin est également le prolongement de larchitecture. Dès la Renaissance, les villas entretiennent un lien tout particulier avec leur territoire. Dans l’architecture d’Andrea Palladio par exemple, les villas sont ancrées au paysage. En effet, elles sont souvent placées sur une colline, ou en haut d’une pente douce, et bénéficient d’une allée, la plus longue possible, menant depuis la route jusqu’au pied de la bâtisse, marquant l’axe de symétrie de la villa. Les demeures sont mises en scène autant que le paysage qui les entoure. La villa est visible depuis les environs, et participe au paysage autant que le paysage participe à la décoration intérieure. Les vues à travers les fenêtres, les balcons et les loggias sont étudiées, et fonctionnent comme des percées vers le paysage lointain, à la manière des peintures de la même période. Dans les jardins à la française, la végétation prolonge l’architecture. En effet, elle crée une gradation progressive entre le monde des humains et celui de la nature. L’architecture (savante) symbolise la rationalité et les sciences humaines, les mathématiques, etc… Autour d’elle se déploient les trois plans des jardins à la française : le premier plan reprend l’ordre et la rigueur des compositions géométriques que l’on retrouve dans l’architecture, le second plan assouplit ces règles mathématiques pour composer avec la nature dans un rapport d’égal à égal, et le dernier plan se rapproche de la nature. Le jardin à la française fonctionne donc comme une transition entre l’architecture en tant qu’artefact humain, et la nature. Le jardin à l’anglaise, en revanche, possède un tout autre rapport avec l’architecture. Les jardins fonctionnent indépendamment de la construction principale. En revanche, les allées et les promenades sont ponctuées de kiosques, de bancs, de chaumières, etc… C’est donc l’architecture qui va s’insérer ponctuellement dans la végétation, tandis que cette dernière domine le jardin en lui apportant un aspect pittoresque. Enfin, c’est dans le jardin islamique que l’interpénétration de la nature et de l’architecture trouve son apogée. En effet, trouvant ses origines dans des régions arides, où le soleil est écrasant et où l’eau se fait rare, les Hommes ont dû faire appel à l’architecture pour créer leurs jardins. C’est ainsi que sont apparus les jardins à étages et à patios, où la végétation, l’eau et l’architecture s’entremêlent pour ne former qu’un.

        Mais le jardin n’est pas qu’un espace rationnel, scientifique, mathématique ou géométrique. Il s’agit aussi d’un espace mythologique. Le jardin monastique par exemple conjugue l’aspect substantiel pour le corps avec l’aspect substantiel pour l’esprit. En effet, tout en possédant des parties dédiées au potager, à la culture vivrière autosuffisante, ou encore à la culture des plantes médicinales, le jardin monastique est imprégné de symboliques religieuses. On peut citer le cas du cloître, fermé au monde des Hommes sur ses quatre côtés, mais ouvert sur l’infini du ciel. Il est découpé en quatre parties par des allées orthogonales symbolisant les quatre axes du monde. Une fontaine, souvent placée au centre, à l’intersection des allées, représente les quatre fleuves du paradis terrestre par le biais de quatre déversements. Les fleurs qui sont plantées dans le cloître possèdent également une symbolique, à l’instar de la rose, qui représente la Vierge, tout comme les arbres, lorsqu’ils sont présents (le cyprès symbolise la paix, l’olivier la miséricorde divine, ou encore l’if qui évoque l’éternité). Les autres parties du jardin monastique possèdent chacune leurs propres plantes, et leurs propres symboliques. Mais la symbolique des plantes ne provient pas seulement de la religion. En effet, au Moyen-Age, époque où se développent les jardins monastiques, la nature est conçue par analogie ou par anagogie. Cela signifie que les choses sont pensées d’un point de vue spirituel, et non matériel. Cette vision a entraîné la théorie des signatures, selon laquelle les caractéristiques physiques d’une plante indiquent son usage. Bien que toutes les applications de cette théorie ne soient pas vérifiées, certaines ayant même été prouvées fausses, l’exemple le plus connu reste celui de la noix qui, ressemblant à un cerveau, aurait été dotée de vertus guérisseuses des troubles cérébraux. Cet exemple a été démontré juste par la science. Ces symboles associés au jardin se retrouvent également dans les jardins islamiques. Le jardin y devient une métaphore du paradis. Dans le Coran, le mot « jardin » est même employé pour évoquer le lieu où sont réunies les personnes pieuses après la mort. Du Moyen Orient au sud de l’Espagne, les jardins islamiques reprennent cette symbolique du paradis. Les variétés d’arbres sont choisies pour leurs feuilles persistantes. Le feuillage des arbres permet de se protéger du soleil en toute saison, mais représente également le printemps éternel du paradis. Ainsi, le jardin reste toujours vert. L’eau est également un élément essentiel du jardin islamique. Au paradis, l’eau cristalline ne cesse de couler dans les ruisseaux. Dans les jardins, l’eau est également en mouvement perpétuel. Ce ruissellement incessant de l’eau garantit sa pureté. L’eau et la végétation sont associées à l’architecture afin d’assurer une fraîcheur salutaire dans les espaces du jardin. La végétation constamment verdoyante ainsi que l’eau en mouvement perpétuel rappellent l’abondance et la perfection du paradis promis aux personnes pieuses.

      Le jardin est donc aussi un espace irrationnel. Une forêt de croyances et de légendes, où les narcisses se contemplent dans les miroirs d’eau, où la blanche Ophélia flotte comme un grand lys, où les saules pleurent, mais également un espace de beauté, un enclos d’abondance où Alcinoos règne en paix, un verger aux pommes d’or où résident les Hespérides, un Eden inaccessible que les Hommes cherchent à retrouver, un paradis terrestre, une Babylone suspendue à notre imaginaire. Si les jardins cultivent et entretiennent nos croyances, ils nourrissent également la littérature. Le jardin devient alors tour à tour un terrain de croquet au milieu des roses blanches peintes en rouge, une madeleine de Proust où les fleurs de chez Tante Léonie finissent en tisane, un havre de paix rue Plumet où les amants Cosette et Marius oublient les barricades, un endroit que les candides apprennent à cultiver. On y devient poète, et pourquoi pas peut-être un petit peu pédant ?

Le jardin est enfin un espace de déambulation, de rêverie. Le bruissement des feuilles, le clapotis de l’eau, le chant des oiseaux, les parfums des fleurs, nous guide, nous entraîne et nous perd le long des allées. On se promène, on s’éloigne, on part pour un cheminement de 10 mètres, de 100 mètres. Pour un trajet plus loin encore, ailleurs, à l’étranger, à l’autre bout du monde. Un voyage vers l’inconnu, vers l’infini, dans une bulle, notre bulle. Une introspection. Le charme bucolique de la nature nous encourage à l’abandon, à la béatitude, à l’évasion. La méditation devient rêve, et le rêve devient songe. Nous sommes ici et ailleurs à la fois. Cet état, entre rêve et réalité, nous permet de nous élever spirituellement. L’Homme s’élève à la hauteur de la nature lorsque celle-ci s’organise à l’échelle humaine.

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RÉFÉRENCES LITTERAIRES ET CULTURELLES

Les jardins suspendus de Babylone, une des Sept Merveilles du monde.

Homère. Alcinoos, in : L’Odyssée.

Homère. Mythe des Douze Travaux d’Héraclès : les pommes d'or du jardin des Hespérides, in : L’Odyssée.

Ovide. Le mythe de Narcisse, in : Les Métamorphoses.

Voltaire. Candide ou l'Optimisme, 1759.

Hugo, Victor. Les Misérables, 1862.

Carroll, Lewis. Les Aventures d'Alice au pays des merveilles, 1865.

Rimbaud, Arthur. Ophélie, in : Poésis, 1870. [Le poète fait référence au personnage shakespearien Ophélie, qui apparaît dans Hamlet].

Proust, Marcel. Du côté de chez Swann, in : À la recherche du temps perdu, 1913.

Rickman, Alan. Les jardins du roi, (titre original : A Little Chaos), Uk, 2014, 1h52 (film).

OUVRAGES

Beck, Bernard. Jardin monastique, jardin mystique. Ordonnance et signification des jardins monastiques médiévaux, Revue d'Histoire de la Pharmacie, numéro 327, 2000.

Cahier des jardins Rhône-Alpes, numéro 2, brochure de la région Rhône-Alpes, 1999.

Cent ans de jardins ouvriers 1896-1996 - La Ligue Française du Coin de Terre et du Foyer, livre collectif.

Collectif Phaidon. Les jardins anglais, 2009.

Dictionnaire Larousse. Le petit Larousse illustré, édition 2003.

Elisseeff, Danielle. Jardins japonais, 2010.

Fillipis, Pierre de ; Garcon, Cesar (photographies). L'Italie des jardins, 2015.

Godeau, Jérôme ; Volcouve, Madeleine. Les mots du jardin, 1997.

Le jardin à l’Italienne, Le Monde, section Jardinage : https://jardinage.lemonde.fr/dossier-156-jardin-italienne.html, consulté en décembre 2019.

Jardins Ouvriers et Familiaux en Seine-Saint-Denis. Cahiers du patrimoine, brochure du département de Seine-Saint-Denis, numéro 2, 2016. Disponible sur : https://ressources.seinesaintdenis.fr/Les-cahiers-du-patrimoine-no2-Jardins-ouvriers-et-familiaux-en-Seine-Saint

Peeters, Francis. Le Japon des jardins. Comprendre les jardins Japonais de Préhistoire à nos jours, 2012.

Pincas, Stéphane. Versailles, un jardin à la française, 2001.

Quéant, Virginie. Jardins japonais, 2016.

Richarson, Tim ;  Lawson, Andrew (photographies). Le Nouveau jardin anglais, 2013.

Roudaut, Richard. Le Nôtre - L'Art des Jardins à la Française, 2000.

Smienk, Gerrik. Palladio the villa and the landscape, 2011.

Weiss, Allen S. Miroirs de l'infini. Le jardin à la française et la métaphysique au XVIIe siècle, 2011.

SITOGRAPHIE (consultée entre novembre et décembre 2019)

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